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En résumé, le somnambulisme des sujets précédents a pour caractère psychologique fondamental le délire ; ces sujets ont bien deux personnalités, celle de l’état normal et celle de la condition seconde ; mais cette seconde personne est délirante.

Nous avons vu que chez les somnambules de notre premier type les diverses manifestations de l’état second sont reliées entre elles et unifiées par le souvenir ; le malade, quand il se trouve dans un de ces états, se rappelle ce qui s’est passé dans les autres états ; la personnalité seconde peut donc conserver son unité et persister toujours la même, avec le même caractère, dans les crises successives de somnambulisme. En est-il de même dans le somnambulisme du second type ? La seconde personnalité, qui est délirante, conserve-t-elle le souvenir de ce qui s’est passé dans les crises antérieures ? Dans bien des cas, il est difficile de le savoir ; car le malade, pendant son délire, ne peut pas être soumis à un interrogatoire régulier ; il ne lie pas conversation avec l’expérimentateur, et il est bien incapable de donner les renseignements qu’on lui demande. Mais parfois la forme même de son délire, ou les actes qu’il accomplit, peuvent nous éclairer. Ainsi que nous l’avons déjà remarqué plus haut, il y a deux preuves principales de la continuité de la mémoire : la première, c’est le témoignage conscient du sujet ; la seconde, c’est la répétition ou la continuation d’un acte commencé dans la crise précédente. Le journaliste B… fournit cette seconde preuve, et à ce point de vue, son observation est bien plus instructive que celle du sergent de Bazeilles. On se rappelle que B… a commencé à écrire pendant un de ses somnambulismes une nouvelle sur la Salpêtrière. Dans ses crises successives, il reprend son travail exactement au point où il l’a laissé, bien qu’on ne lui laisse pas voir les feuillets déjà écrits ; et suivant l’usage des personnes qui font de la copie, il répète au haut de la première page le dernier mot de la page précédente ; un jour il s’est souvenu aussi du dernier mot qu’il avait écrit, trois semaines auparavant : c’est donc bien la