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éprouver telle hallucination dans cinq minutes, dans treize jours, dans un mois. Ainsi, on commande à une personne en somnambulisme de revenir au bout de quinze jours : le jour dit, à l’heure dite, elle revient. On s’est plu, pour augmenter le caractère merveilleux de l’expérience, à allonger indéfiniment le délai ; on l’a étendu même à une année ; mais cette variante, qui prouve simplement la ténacité de la mémoire du sujet, ne complique pas beaucoup la suggestion, et il est aussi difficile de comprendre comment le sujet se rappelle l’échéance de quinze jours que celle d’une année entière.

Précisons bien la difficulté. En quoi consiste-t-elle ? En ceci : d’une part, on impose au sujet un acte qu’il ne peut accomplir correctement que s’il mesure le temps ; et d’autre part, si on cherche à pénétrer dans sa conscience, quand il est sous l’empire de la suggestion, on constate que non seulement il n’a aucune préoccupation relative à cette mesure du temps, mais encore il a complètement oublié la suggestion. On lui dit de faire un acte dans quinze jours ; réveillé, il ne se souvient de rien, et cependant, dans quinze jours, l’acte sera fait.

M. Bernheim a fait une première tentative d’explication ; cette mesure du temps, dit-il en substance, a lieu consciemment ; de temps en temps, le souvenir de la suggestion est revenu dans la conscience, et de temps en temps le sujet a compté les jours écoulés, mais ce calcul a été fait rapidement et ensuite oublié. Le sujet ne se souvient plus qu’il s’est souvenu[1]. La supposition est intéressante ; malheureusement elle ne concorde pas exactement avec les faits. Bien des sujets, si on les interroge soigneusement avant l’échéance de la suggestion, ne peuvent absolument rien en dire ; jusqu’au moment où elle se réalise, la suggestion leur est inconnue ; elle reste dans une nuit complète, elle n’est point éclairée d’une manière intermittente, comme le suppose M. Bernheim. Il y a là non pas un

  1. Bernheim, De la Suggestion, p. 172-174.