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prendre des exemples simples, qu’on aura fait apparaître sur un coin de table y resteront placés ; le sujet ne verra ces objets imaginaires que quand il se tournera vers la table ; s’il ferme les yeux, s’il détourne ses regards, s’il sort de la pièce, il perd conscience de son hallucination, comme il perdrait la perception de l’objet réel correspondant ; l’hallucination reste là, fixée à la table : elle attend le sujet, qui la retrouvera quand il reviendra dans la chambre[1]. Vu de loin, l’objet imaginaire paraît se rapetisser, il est perçu d’une façon moins distincte que de près, etc. À ces quelques faits très simples, viennent s’en ajouter d’autres qui ne peuvent être mis en lumière que par des expériences un peu plus compliquées, mais qui sont cependant, je crois, de même nature. Lorsqu’on presse mécaniquement sur un des yeux de l’halluciné, pendant qu’il regarde son hallucination, l’objet imaginaire est vu double, comme les objets réels[2] ; un prisme le dévie, des lentilles peuvent l’agrandir, le rapetisser, ou le faire paraître renversé, suivant la distance de l’objet au foyer de la lentille. Ces expériences d’optique hallucinatoire ont été répétées par de nombreux

  1. Il est curieux de voir avec quelle persistance durent les hallucinations bien associées à un point de repère. J’ai parlé, dans ma Psychologie du raisonnement, d’une hallucination donnée à W… en 1884 ; on lui avait suggéré qu’elle était représentée nue sur une photographie qui en réalité représentait une vue des Pyrénées. Mon excellent ami, M. Londe, chef des travaux chimiques de la Salpêtrière, m’apprend que cette hallucination ne s’est pas encore effacée (juin 1891) ; il suffit de montrer la photographie à W… pour qu’elle croie y voir son propre portrait. Aucune suggestion n’a été faite dans l’intervalle pour renouveler son hallucination ; mais on lui a montré la photographie quatre ou cinq fois.
  2. En relatant pour la première fois cette série d’expériences sur la modification des hallucinations visuelles par des moyens physiques, j’ai commis une curieuse erreur ; j’ai attribué à Brewster le mérite d’avoir le premier constaté qu’on peut en pressant sur l’œil d’une personne en état d’hallucination dédoubler son hallucination. L’erreur a été relevée par M. Gurney et M. Hack-Tuke. En réalité, Brewster n’a fait aucune expérience de ce genre ; consulté par une personne qui lui demandait un moyen de distinguer un objet réel et une apparition imaginaire, il répondit qu’il fallait chercher, en pressant sur l’œil, à obtenir une double image ; il pensait que l’image de l’objet réel pouvait seule être dédoublée. Je lui ai donc attribué gratuitement une expérience qu’il n’a jamais faite, et une opinion qui est juste le contraire de la sienne. Nous voyons d’autre part que le critérium qu’il indique pour distinguer la réalité de l’hallucination ne pourrait pas servir pour les hystériques hypnotisés.