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inertes le long du corps ; elle dort ou paraît dormir, mais d’un sommeil spécial, car aucun bruit, aucune excitation, pincement ou piqûre, ne saurait l’éveiller ; de plus, cette sorte de sommeil est absolument subit. Il dure deux à trois minutes ; autrefois, il était beaucoup plus long.

Après ce temps, Félida s’éveille, mais elle n’est plus dans l’état intellectuel où elle était quand elle s’est endormie. Tout paraît différent. Elle lève la tête, et ouvrant les yeux, salue en souriant les personnes qui l’entourent, comme si elles venaient d’arriver ; la physionomie, triste et silencieuse auparavant, s’éclaire et respire la gaieté ; sa parole est brève, et elle continue en fredonnant l’ouvrage d’aiguille que dans l’état précédent elle avait commencé ; elle se lève, sa marche est agile et elle se plaint à peine des mille douleurs qui quelques minutes auparavant la faisaient souffrir ; elle vaque aux soins ordinaires du ménage, sort, circule dans la ville, fait des visites, entreprend un ouvrage quelconque, et ses allures et sa gaieté sont celles d’une jeune fille de son âge bien portante ; nul ne saurait trouver quelque chose d’extraordinaire à sa façon d’être. Seulement son caractère est complètement changé ; de triste, elle est devenue gaie et sa vivacité touche à la turbulence ; son imagination est plus exaltée ; pour le moindre motif elle s’émeut en tristesse et en joie ; d’indifférente à tout, elle est devenue sensible à l’excès.

Dans cet état, elle se souvient parfaitement de tout ce qui s’est passé pendant les autres états semblables qui ont précédé et aussi pendant sa vie normale. Il est bon d’ajouter qu’elle a toujours soutenu que l’état, quel qu’il soit, dans lequel elle est au moment où on lui parle, est l’état normal qu’elle nomme sa raison, par opposition à l’autre qu’elle appelle sa crise.

Dans cette vie comme dans l’autre, ses facultés intellectuelles et morales, bien que différentes, sont incontestablement entières : aucune idée délirante, aucune fausse appréciation, aucune hallucination. Félida est autre, voilà tout. On peut même dire que dans ce deuxième état, dans