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COMMENTAIRE HISTORIQUE

Donner aux grands Seigneurs une gloire eternelle :
Autres le peuvent faire, un Bellay, un Jodelle,
Un Baïf, Pelletier, un Belleau et Tiard,
Qui des neuf Sœurs en don ont reçu le bel art
De faire par les vers les grands Seigneurs revivre,
Mieux que leurs bastiments, ou leurs fontes de cuivre[1].

Telle fut la vraie composition de la Pléiade française, avec ses variations, de 1553 à 1560. Du Bellay mort, il est possible que Dorat « poeta et interpres regius » ait passé pour la septième étoile aux yeux des huguenots, quand ils disaient « messieurs de la Pleïade » en parlant de leurs adversaires poètes. Mais, dans tous les cas, Binet, qui eut d’ailleurs grandement raison de compter Du Bellay parmi les « sept », eut tort de sacrifier Des Autels ou Peletier, pour pouvoir faire figurer Dorat dans ce nombre. Malheureusement son témoignage a prévalu. Sa liste, composée quelque peu arbitrairement, se retrouve, dans un ordre différent mais avec les mêmes noms, sous la plume de Ménage : Ronsard, Du Bellay, P. de Tyard, Jodelle, Belleau, Baïf et Dorat (Observations sur les Poësies de Malherbe, 1666, p. 396). Elle a fait autorité jusqu’à nos jours, et l’on sait que la Collection de la Pléiade françoise, publiée par Marty-Laveaux, comprend les pauvres vers français de Dorat, qui était avant tout un poète grec et latin.

Je ne cite que pour mémoire cette autre liste tout à fait fantaisiste d’un ancien commentateur de Ronsard : « L’excellente Pleïade des esprits de son temps, d’Aurat, du Bellay, Belleau, Baïf, Jodelle, Sc. de Saincte-Marthe, Muret, et nostre Poëte par dessus tous ». Telle est l’interprétation que Nicolas Richelet a donnée de l’expression « la Musine troupe », employée par Ronsard dans l’ode fameuse où il convie ses amis à fêter la publication des Anacreontea par H. Estienne (éd. de 1604, tome II, ode xv du cinquième livre des Odes) :

Fay moy venir d’Aurat ici
Fais y venir Jodelle aussi
Et toute la Musine troupe.


Richelet ne connaissait ni la date de la composition de cette ode, ni les transformations subies par ce texte. Voici en effet la leçon primitive (Meslanges de 1554) :

Fai moi venir d’Aurat ici,
Paschal, et mon Pangeas aussi,
Charbonnier et toute la troupe....


et la variante de la première édition collective des Œuvres (1560) :

Fai moi venir d’Aurat ici,
Grevin, Belleau, Baïf aussi,
Et toute la Musine troupe.

  1. On chercherait vainement ces vers dans les éditions de Blanchemain et de Marty-Laveaux : supprimés par Ronsard, ils n’ont reparu qu’en 1905 dans la Rev. d’Hist. litt., n° d’avril-juin, p. 256. Ils étaient insérés avant celui-ci :

    Mais quoi. Prince, on dira que je suis demandeur...
    (Bl., V. 79 ; M.-L., IV, 199.)