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ET CRITIQUE

portent non plus l’une à l’autre que les songes entrecoupez d’un frenetique, ou de quelque patient extremement tourmenté de la fievre, à l’imagination duquel, pour estre blessée, se representent mille formes monstrueuses sans ordre ny liayson... » (texte de 1567, d’après l’éd. M.-L., VI, 452 ; cf. Bl., VII, 322). Voir encore la première préf. de la Franciade (1572) : « ... non toutefois pour feindre une Poësie fantastique comme celle de l’Arioste, de laquelle les membres sont aucunement beaux, mais le corps est tellement contrefaict et monstrueux qu’il ressemble mieux aux resveries d’un malade de fievre continue qu’aux inventions d’un homme bien sain. » (M.-L., III, 514 ; cf. Bl., III, 8.)

Dans ces deux passages, Ronsard s’est inspiré d’Horace, Épître aux Pisons, vers 1 à 9.

P. 40, l. 16. — gouverne. Parmi les poètes dont Ronsard, dans ses dernières années, déplorait les excès de fantaisie et de style, on cite Guillaume Salluste du Bartas, dont la Sepmaine avait paru en 1579, les Œuvres revues et augmentées en 1580 et 1582, la Seconde Sepmaine en 1584, — et Jean Edouard du Monin, qui publia en 1582 ses Nouvelles Œuvres « contenant Discours, Hymnes, Odes, Amours, Contramours, Eglogues, Elegies, Anagrammes et Epigrammes ». Il devait toutefois mettre entre eux une assez grande difference, que Binet a marquée dans ces lignes : « Disant au reste que quelques-uns... »

On raconte qu’à l’apparition de la Sepmaine Ronsard ne put s’empêcher d’exprimer généreusement son estime pour l’auteur de cette épopée biblique, ce qui n’est pas invraisemblable. Les protestants firent courir aussitôt le bruit qu’il cédait la souveraineté de la poésie à leur poète et s’était avoué vaincu. Mais Ronsard, qui d’ailleurs après son premier mouvement n’avait pas tardé à faire ses réserves au moins sur le style de l’œuvre, donna un démenti formel à ses adversaires dans le sonnet adressé à Dorat, qui commence ainsi : Ils ont menti, d’Aurat, et qui dans l’édition de 1617, où il parut pour la première fois, est suivi du sizain Je n’ayme point ces vers, lequel semble bien viser directement l’œuvre de Du Bartas (Recueil des Sonnets... et autres pièces retranchées, p. 78 ; on trouvera les deux pièces dans l’édition Bl., V, 348 et 349 ; je cite le sizain ci-après, p. 204). — Cf. les Remarques critiques sur le Dictionnaire de Bayle, in-fo de 1752, p. 698, et Sainte-Beuve, article de 1842 sur Du Bartas, inséré dans le Tableau de la poés. fr. au XVIe s., éd. Charpentier, pp. 391 et 392.

Quant à Edouard du Monin, ses poésies sont très loin d’avoir eu le succès de la Sepmaine de Du Bartas, et dès leur apparition il passa pour un auteur profondément obscur et alambiqué. Voir Laudun d’Aigaliers, Art poët., 1598, liv. IV, chap. v. Colletet écrit dans la biographie qu’il lui a consacrée : « C’était de Du Monin que Ronsard voulloit parler lorsque, considérant les esprits de son siècle, il dit : Il y en a qui ont l’esprit plus turbulent que rassis... » (cité par Rochambeau dans sa Famille de Ronsart, éd. elzévir., p. 236). Pour être aussi affirmatif, Colletet ne s’est pas fondé seulement sur une tradition orale. Il aurait pu alléguer plusieurs passages de l’Académie de l’Art poët. de P. de Deimier (1610), celui-ci entre autres, où il est également question de Du Bartas : « Du Monin faisoit gloire d’escrire ainsi en