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Je n’entends que le son, comme si c’était n’importe quoi — j’entends le mot, sans que je le comprenne pour ainsi dire. » Au début des expériences, avec elle cette période de sécheresse était très gênante ; Armande fixait involontairement son attention sur moi, sur ma manière de prononcer le mot, même lorsqu’il s’agissait d’un terme tout à fait familier, et elle répétait alors avec un léger agacement : « Mais je ne me représente rien, les idées ne me viennent pas ; » ou encore « Je me représente le mot ; » elle avait dans ce cas une image visuelle typographique.

La seconde phase est celle où l’on comprend le mot sans rien se représenter. « On comprend le mot, dit encore Armande, cela signifie que le mot paraît familier, on s’y habitue : on se le répète sans penser à rien de particulier. »

Puis, troisième étape, il y a un travail intellectuel, un effort pour avoir une idée précise. Je dis à Marguerite le mot chapeau. Elle répond : « Quand tu m’as dit ce mot, je ne me suis rien représenté du tout. Puis, je me suis demandé à quel chapeau je pourrais penser. J’ai pensé à notre chapeau bleu. » Quelques instants après, elle ajoute : « Pour chapeau, je me suis dit : Voyons, chapeau, qu’est-ce que je vais penser ? Je vais penser à notre chapeau. Mais je ne me le représentais pas d’abord. » À une autre occasion, elle fait cette remarque générale : « J’ai d’abord le souci d’appliquer le mot à un objet ; » une autre fois, elle donne une description très claire de cet aiguillage de la pensée. Je viens de lui dire le mot voiture. C’est le premier mot de la première série d’expériences que je fais avec elle.

Marguerite, après une hésitation, dit : « Eh bien, la mère R…, mettons (la mère R… est un cocher de village) ; quand tu dis un mot, je me demande à quoi il faut que je pense. Exemple : pour voiture ; faut-il penser à l’omnibus qui passe ici, ou bien à la voiture de la mère R… ? — D.