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CHAPITRE III

Le Vocabulaire et l’Idéation.


Il existe un accord général entre nos pensées et leur mode d’expression. Une voix nuancée annonce plus de finesse d’esprit qu’une diction uniforme ; il y a de l’intelligence dans certaines formes graphiques, et de la stupidité dans d’autres. La construction grammaticale de la phrase révèle la logique intérieure et la richesse des associations d’idées ; la juxtaposition de propositions courtes, enchaînées par des conjonctions élémentaires, ou par le puéril : et alors, a une toute autre signification intellectuelle que la longue phrase oratoire qui traîne dans sa robe à queue une riche parure d’incidentes.

Même la nature des mots, le vocabulaire, a une valeur sociale ; il y a, pour exprimer une même idée, plusieurs mots bien différents, dont les uns viennent du faubourg ouvrier, d’autres viennent de la petite boutique, ou du salon, ou du cabinet du lettré.

J’ai cru intéressant de rechercher si, chez mes deux fillettes, qui ont une si curieuse différence de type intellectuel, je trouverais aussi des différences de langage, et si, en d’autres termes, il existe une relation entre l’idéation et le vocabulaire.

Je sais bien qu’a priori on peut faire de suite une objection à cette hypothèse : nous n’inventons pas notre vocabulaire, nous le recevons tout fait de notre milieu, par l’audition et la lecture, exception faite de nos néologismes,