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mots se rapportant à la bicyclette, tandis que Marguerite en a écrit un très grand nombre. Je crois qu’il est plus vraisemblable d’admettre que c’est là une différence de préoccupation ; c’est surtout l’orientation des idées qui est en cause. En tout cas, les séries de mots écrites par Marguerite sont mieux documentées en faits que les séries de sa sœur.

Il y a une distinction de date à faire entre les souvenirs ; par convention, nous appellerons récents ceux qui sont relatifs aux vacances et remontent à une période de deux à trois mois en arrière du jour où se fait l’expérience ; nous appellerons anciens ceux qui remontent plus loin. Dans les séries de Marguerite, dominent les souvenirs récents, de trois mois au maximum ; je compte 139 souvenirs récents pour 33 souvenirs anciens ; Armande a renversé la proportion, elle a évoqué 58 souvenirs anciens et seulement 30 souvenirs récents.

Je suppose que cette différence doit être considérée comme une conséquence d’une autre différence psychologique que nous avons déjà signalée. Marguerite, avons-nous vu, reste en contact avec le monde extérieur, son attention n’abandonne pas la réalité ; nous avons dit que c’était là peut-être une preuve de l’esprit d’observation, en appuyant surtout notre interprétation sur les résultats d’autres tests, que nous décrirons plus loin. Maintenant n’est-il pas vraisemblable que les souvenirs récents ne sont guère qu’une observation prolongée, une rallonge mise à l’observation actuelle ? Les souvenirs anciens, exhumés après plusieurs années de conservation, n’ont pas le même caractère. Il est naturel que Marguerite, qui est l’observateur, invoque surtout ces souvenirs récents, qui se distinguent à peine de l’observation actuelle, tandis qu’Armande, qui ne craint pas de perdre le contact avec la réalité ambiante, s’enfonce résolument dans le passé le plus lointain.