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il n’y en a que 15, soit 1/20, dont elle ne peut pas rendre compte ; et encore, ces 15 mots appartiennent-ils principalement aux premières séries qu’elle a écrites. À mesure que l’expérience s’est poursuivie, Marguerite a dû faire une plus grande attention aux mots qu’elle écrivait, parce qu’elle savait d’avance qu’elle aurait à répondre à mes questions, si bien que de la 1re à la 16e série, on ne trouve que 4 mots qu’elle n’a pas réussi à expliquer. Elle a du reste déclaré à plusieurs reprises qu’en écrivant elle songeait aux explications qu’elle aurait à donner. Chez Armande, le nombre total de mots inexpliqués est beaucoup plus grand, il est de 84, soit presque 1/3, et cette proportion ne diminue pas sensiblement au cours de l’expérience. Je note tout de suite que lorsqu’Armande ne peut pas répondre à mes interrogations par autre chose que « je ne sais pas », elle paraît très contrariée, et même honteuse, comme quelqu’un qui est en faute. Ce sentiment de confusion est si fort chez elle que j’ai été obligé plusieurs fois de la rassurer, en lui affirmant qu’on a le droit d’oublier, et que, du reste, elle est toujours libre de faire l’expérience comme elle l’entend.

Il y a donc entre les deux sœurs une différence très grande ; l’une, Marguerite, fixe beaucoup mieux que sa sœur l’attention sur le sens de ce qu’elle écrit. Mais ce n’est là qu’une différence de fait, et il reste à en donner une interprétation psychologique, ce qui est fort difficile. D’où vient la différence ?

Je trouve cinq explications, qui me paraissent également possibles, et entre lesquelles j’hésiterais beaucoup à choisir :

L’amnésie.

La rapidité de l’écriture produisant l’inconscience du sens des mots qu’on écrit.

L’état de distraction.

Le goût du verbalisme.