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que nous avons trouvée chez Armande et Marguerite[1].

Armande est donc une subjectiviste, et Marguerite une objectiviste. Rien dans les apparences ne révèle la différence profonde de ces deux esprits ; les apparences sont même trompeuses. On pourrait croire qu’Armande, subjectiviste, aime l’isolement, la vie contemplative, et dédaigne les exercices du corps ; ce serait une erreur ; elle est plus exubérante que sa sœur, se passionne pour l’exercice physique, aime la société et a de grands besoins de vie active. On pourrait croire encore qu’elle ferme les yeux au monde extérieur, et préfère les arts qui détournent des choses matérielles ; ce serait une seconde erreur ; elle a des aptitudes incontestables pour le dessin, la peinture, la déclamation, et abandonne la musique à sa sœur. Comment expliquer ces contradictions ? C’est que nos sujets ne sont pas des types idéaux, d’une perfection schématique ; ce sont des exemples concrets, mélangés.

Il est à peine besoin d’ajouter combien il serait intéressant d’étudier chez les adultes et à l’état de perfection ces formes particulières du caractère qui s’ébauchent seulement chez nos fillettes. La tendance à vivre dans le monde extérieur, ou l’objectivisme, de même que la tendance à se renfermer dans sa propre conscience, ou le subjectivisme, caractérisent des types mentaux bien différents, et ont donné lieu à des conséquences bien curieuses pour l’histoire psychologique de l’humanité.

  1. Deux auteurs italiens, MM. Ferrari et Guicciardi, ont étudié le procédé par lequel des personnes se rendent compte de la longueur d’un intervalle de temps ; et ils ont constaté que les uns se représentent le mouvement de l’aiguille sur le cadran, c’est-à-dire se représentent le temps en termes d’espace, tandis que d’autres perçoivent en eux le temps qui s’écoule. Il faut ajouter que, dans l’expérience des auteurs italiens, un cadran et une aiguille étaient présentés aux sujets, et la vue de cet instrument devait les encourager à se représenter visuellement la marche du temps. Cette existence de deux types de perception pour l’évaluation du temps est bien d’accord avec notre propre description.