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perçois cet objet, c’est me mettre à un point de vue subjectif, c’est faire de l’introspection.

II existe une expérience de psychologie où la distinction de ces deux points de vue apparaît très clairement. C’est une expérience de toucher. Je l’ai étudiée très longuement, et puis en donner le détail. On pose sur le dos de notre main deux pointes de compas, en dehors de notre vue, et on nous demande : Combien de pointes ? Voilà une question qui paraît très précise ; non, elle est tout à fait équivoque ; elle a deux sens différents ; ou bien on veut demander : Combien de pointes existe-t-il en ce moment qui touchent votre peau ? ou bien : combien de pointes distinctes sentez-vous ? Il ne faut pas croire que cette distinction soit une subtilité ; elle est au contraire fort importante.

La première question porte sur un fait objectif, visible à l’œil : le nombre de pointes qui piquent la peau ; la seconde question porte au contraire sur un fait subjectif : le nombre de pointes qu’on sent distinctement. Ce n’est pas du tout la même chose. Il ne faut pas croire que l’on admet comme fait objectif tout simplement ce que l’on sent, et qu’il se fait une traduction littérale et servile du subjectif en objectif ; il ne faut pas croire que si on ne distingue pas les deux pointes, on répondra nécessairement qu’il n’y en a qu’une. Les psychologues l’avaient cru, et cela fut cause d’une erreur qui a duré plus de cinquante ans. En réalité, voici ce qui se produit. Lorsque les pointes de compas sont suffisamment distantes, relativement à la finesse locale de la région, on sent les pointes distinctes, et on affirme qu’il y a deux pointes ; dans ce cas, le subjectif et l’objectif s’accordent ; mais si l’expérimentateur rapproche graduellement ses pointes, alors il arrive que, pour un certain écartement, les pointes donnent une impression de contact unique, mais ce contact est gros, épais ; à la lettre, le sujet ne sent qu’une pointe ; mais s’il est intelligent et avisé, il se rend compte que ce