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que Marguerite pense, tandis qu’Armande pense plus volontiers à un objet rappelé ou imaginaire ou abstrait. Cette seconde épreuve confirmait donc notre interprétation de la première catégorie d’expériences, en nous montrant que Marguerite ne perd pas aussi facilement que sa sœur le contact des objets extérieurs. Un troisième genre de recherches est venu lever tous les doutes ; nous avons vu, en faisant décrire les objets, combien Marguerite s’attache avec plus de soin qu’Armande aux caractères matériels de l’objet à décrire. C’est dans cette voie qui commençait à se tracer que nous nous sommes engagé pour les expériences nouvelles que nous allons exposer.

Pour apprécier l’esprit d’observation d’une personne, je pense qu’on peut employer la méthode suivante. Nous sommes entourés d’un milieu matériel dont certains détails ont pour nous une grande importance et sollicitent vivement notre attention ; d’autres détails du milieu n’ont qu’un intérêt secondaire et peuvent être négligés sans grand dommage ; d’autres enfin sont dénués de tout intérêt. Je suppose que certaines personnes, qui n’ont pas d’esprit d’observation, ou chez lesquelles cet esprit d’observation est très spécialisé, et souvent suspendu par un état de distraction ou de préoccupation intense, je suppose, dis-je, que ces personnes auront une tendance à négliger dans le milieu extérieur tout ce qui est d’un intérêt secondaire ou nul, et remarqueront seulement les détails de prime importance ; elles sauront, par exemple, le plan de leur appartement, en gros, elles connaîtront la place approximative des meubles dans les chambres, mais elles n’auront pas remarqué la couleur et le dessin de la tapisserie dans une des chambres ; elles ne sauront pas si tel tableau a un cadre noir ou doré, elles ne distingueront pas le timbre de l’entrée et la sonnette de la salle à manger, elles ne reconnaîtront pas le bruit différent que fait chaque porte en se fermant, et ainsi de suite.