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Sur les flots, on voit dans le lointain de petites barques secouées par le vent.

Il neige, et les toits sont tout couverts de son grand manteau blanc.

L’aube naît, les oiseaux chantent, les fleurs s’entr’ouvrent.

De la pauvre maison au toit démoli, on entend les gémissements.

En passant dans les bois, j’ai vu un oiseau tombé de son nid.

Les parapluies s’ouvrent, la pluie commence à tomber et mouille les rues et les jardins.

Il est nuit, quelques étoiles brillent discrètement dans la nue, la lune tremblante se cache sous un nuage.

On le voit, les inspirations des deux sœurs sont absolument différentes. Cependant, ce qu’on découvre ici chez Armande n’est point tout à fait ce qu’on avait observé avec le test des 20 mots. Nous avions vu chez Armande, comme contraste avec sa sœur, des idées vagues en abondance et quelque peu d’images fictives ; les souvenirs et les observations des objets présents étaient au second plan ; dans les phrases qu’elle vient d’écrire, on trouve encore l’effacement complet des souvenirs et des objets présents ; on remarque aussi l’absence de préoccupation personnelle ; les idées vagues, à demi inconscientes, ont aussi disparu, et c’est bien logique ; car on n’écrit pas de phrases sans y penser un peu ; c’est un éveil de l’attention qui diminue nécessairement le domaine des phénomènes inconscients ; en revanche, l’imagination fantaisiste d’Armande, qui se montrait à peine dans les 20 mots, s’épanouit dans les phrases avec une richesse inattendue. En comparant les deux tests l’un à l’autre, on voit qu’ils ne se répètent pas, on voit même qu’à tout prendre ils ne se confirment pas ; il serait plus exact de dire qu’ils se complètent en montrant sous des jours différents le développement d’un même type mental : avec ce nouveau test, Marguerite est surtout pratique, Armande est surtout poétique.