Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/158

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le nominalisme mitigé des modernes, le réalisme, et enfin le conceptualisme. La possibilité de systèmes aussi opposés montre en somme que la question des images est moins importante qu’on ne l’a cru pour la formation de la pensée, surtout de la pensée abstraite, et que William James a vu clair, quand il a affirmé qu’on peut penser avec n’importe quelle matière mentale : Thought possible in any kind of mental material[1]. C’est ce que je vais essayer de justifier en quelques mots.

Le nominalisme absolu peut se considérer comme démontré par les réponses où le sujet, quoique comprenant le sens du terme abstrait, ne se représente rien de sensible ; dans ce cas, qui se réalise bien souvent, le mot prend une importance prépondérante, le mot compris, bien entendu.

Nous admettons également le nominalisme mitigé, dans lequel le mot éveille un défilé d’images particulières, ou une image unique, avec le sentiment que d’autres vont suivre. C’est le nominalisme de Taine, par exemple, c’est aussi celui de Fouillée et de bien d’autres.

Il est même possible d’admettre le réalisme, puisque la pensée peut se fixer sur des objets extérieurs pris comme ensemble ; une année, une heure, un règne ; des réserves doivent être faites cependant sur l’application du mot généralisation à des cas de ce genre.

Je parlerai plus longuement du conceptualisme, car c’est surtout à propos de ce système que les plus durs combats ont été livrés ; on sait que Berkeley est l’auteur d’une charge à fond de train contre le conceptualisme ; il a soutenu que nous ne pouvons pas nous représenter un homme en général, parce que l’homme qu’on se représente est toujours grand ou petit, blanc ou jaune ou noir, et ainsi de suite, et que, par conséquent, l’image sensible ne peut

  1. Principles of Psychology, I, 265.