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existe ce que Ribot a proposé d’appeler des « abstraits inférieurs ». Néanmoins, il me semble que même ces abstraits inférieurs doivent être plus élevés en dignité que des idées concrètes ; et c’est pour cette raison qu’il me paraît difficile de voir de l’abstraction dans de simples avortements de pensée. Si l’on devait appeler générales ou abstraites les idées naissant dans les conditions hâtives que nous avons indiquées, et si on devait leur donner ce nom simplement parce qu’elles n’ont pas une individualité précise, il faudrait en conclure qu’il suffirait de penser vite pour penser du général ; en un mot toute circonstance qui diminue le travail intellectuel, et détourne l’attention des phénomènes serait favorable à la généralisation. Je crois être plus près de la vérité, en admettant que ce sont là des pensées indéterminées, des pensées arrêtées dans leur développement, restées embryonnaires.


Imagerie provoquée par un terme abstrait ou général.


Dans mes expériences de suggestion d’idées par des mots, il m’est arrivé souvent d’employer des mots abstraits ou généraux ; je vais rechercher quels sont les phénomènes d’idéation que ce genre de mots a donnés à mes deux fillettes. C’est une étude pour laquelle nous avons eu un illustre devancier, Ribot. Par une recherche expérimentale faite sur 103 personnes, Ribot a voulu analyser ce que nous avons dans l’esprit lorsqu’on prononce devant nous un terme général, dont nous comprenons le sens. « Je vais prononcer plusieurs mots, disait l’expérimentateur ; je vous prie de me dire immédiatement et sans réflexion, si ce mot n’évoque rien dans votre esprit, ou s’il évoque quelque chose, et quoi[1] ? » Les mots prononcés

  1. Op. cit., p. 131.