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CHRONIQUE ET MÉLANGES.


MORT DE LÉON GAUTIER.


La douloureuse émotion causée par la mort de Léon Gautier a été ressentie bien au delà des limites de notre Société. Personne n’était plus aimé, et, en écrivant ces lignes, nous nous croyons sûrs de n’être démentis ni par ses confrères de l’Institut, ni par les archivistes paléographes dont les trois quarts ont été ses élèves, ni surtout par ses collègues des Archives nationales, qui tous s’étaient habitués à voir en lui un confident dont ils connaissaient à l’épreuve l’amitié, la fidélité, la discrétion. Cette discrétion — c’était chez lui un trait caractéristique — se conciliait avec l’ardeur d’une nature enthousiaste à laquelle il dut en grande partie ses succès de professeur et de vulgarisateur. Aux arides débuts de la paléographie, il savait exciter l’intérêt des auditeurs par des éclaircissements sur tous les sujets mentionnés dans les textes d’étude, par une chaleur d’expression égale à celle qu’il mettait dans ses écrits à commenter nos Chansons de geste. Tout en poursuivant les recherches de la plus austère érudition, celles qu’il entreprit sur les poésies liturgiques, par exemple, il estimait que les savants ne devaient pas travailler pour les seuls savants ; continuant le mouvement dont Paulin Paris fut jadis l’initiateur, il s’était donné la tâche de faire connaître aux Français le patrimoine de traditions poétiques, chevaleresques et nationales que contiennent nos épopées du moyen âge. Il y avait réussi : si la Chanson de Roland est aujourd’hui entre les mains de tous les écoliers, c’est à Léon Gautier qu’on le doit.

L’ardeur chez lui était d’autant plus communicative qu’il était impossible de n’y pas reconnaître la bonne foi, qui se manifestait d’ailleurs dans tous les actes de sa vie. Peu de gens ont eu des convictions aussi profondes ; bien peu ont su, au même degré, rendre justice à leurs adversaires. On sait quel respect, quelle amitié même il portait à des hommes qui ne partageaient aucune de ses idées. C’est qu’il était attaché à ses convictions pour elles-mêmes, non pour lui-même. Jamais savant n’eut moins de vanité ; jamais homme ne fut plus modeste. Il avait tenu à éloigner de ses funérailles tout ce qui pouvait ressembler à un hommage rendu à sa mémoire. Mais le silence qui, par respect pour ses volontés, a été pieusement gardé sur sa tombe, aurait été une