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vie. Tous ces mots, ou anciens ou nouveaux, que la négligence ou le dédain des lexicographes avaient laissés en oubli dans les trésors de la parole, nous les avons glanés selon que l’adresse nous les faisait rencontrer, ou que le hasard pouvait nous les offrir dans le désordre et l’immensité d’une langue vivante et qui s’enrichit chaque jour de nouvelles conquêtes. Nous n’en avons rejeté volontairement aucun, par le seul motif qu’il ne serait pas d’une nécessité absolue ou qu’il serait surabondant. Notre intention n’a pas été de réformer la langue, mais de la présenter avec ses caprices, ses anomalies, ses irrégularités, ses beautés, ses défauts, en un mot, telle que la nation l’a faite.

Après la nomenclature, que nous avons tâché de faire la plus étendue possible et qui est presque illimitée, la partie à laquelle, nous avons donné tous nos soins, c’est la partie des définitions. Ici, nous avons eu beaucoup à faire encore. Presque tous les Dictionnaires, comme on sait, se répètent les uns les autres, sans avoir aucun égard à la différence des temps, aux progrès des sciences, des arts, à la mobilité des choses humaines ; ou si, par hasard, il leur arrive de vouloir introduire quelque changement pour dissimuler le larcin, ils ne jouent pas toujours de bonheur, puisque, et ce cas n’est pas rare, l’un transforme en plante ce que l’autre avait dit être un mammifère ! Le Pirée pris pour un homme ne trouve que trop souvent son application en fait de lexicographie. De tout temps l’art de définir a été considéré comme la chose la plus difficile. C’est ce qui a fait dire à Aristote qu’il fallait regarder presque comme un Dieu celui qui sait bien définir, Pro quasi Deo habendus est qui benè definire sciat. Sans doute beaucoup de personnes auront peine à concevoir comment le talent de définir rapproche un faible mortel de la Divinité. Cependant n’est-ce pas la raison qui place l’homme au-dessus des animaux et relève la dignité de son être ? Et si l’art de bien définir est le grand instrument de la raison, on peut trouver supportable la louange hyperbolique du philosophe grec. « Qui ne voit, en effet, dit Morellet, que, pour détromper les hommes de beaucoup d’erreur, il ne s’agirait le plus souvent que de leur faire attacher aux mots des idées justes et précises ? De sorte qu’un bon lexicographe est le meilleur instituteur que pût avoir le genre humain. Cette vérité est surtout sensible pour tous les genres de connaissances qui sont relatives à la morale et à la politique, et qui tiennent de plus près à la prospérité sociale et au bonheur des individus ; car les fausses notions sur cette matière sont les sources de tous les maux qui affligent l’homme en société.

Dans la crainte, bien naturelle sans doute, de nous tromper en nous abandonnant à nos propres lumières, et désirant autant que possible éviter toute erreur, toute inexactitude, c’est aux livres spéciaux que nous avons la plupart du temps demandé nos définitions. Il est rare, en effet, qu’un homme qui se livre exclusivement à tel ou tel art, à telle ou telle branche des connaissances humaines, se trompe sur le véritable sens des termes qui appartiennent à cet art ou à cette science. Son avis, écho vivant de l’expérience, doit donc être scrupuleusement recueillis, et c’est ce que nous avons fait. Quand ce précieux secours nous a manqué, nous avons cru devoir remonter à l’étymologie, qui est la raison de la langue, comme l’orthographe est la raison de l’écriture. Cette étymologie, nous l’avons prise à droite ou à gauche, selon que le mot venait lui-même d’un côté ou de l’autre ; néanmoins, sachant que le fond du français est le vieux gaulois, lequel n’est autre primordialement que le celtique, ou du moins le dialecte en celtique, c’est, à défaut de monuments écrits, aux traditions de cette langue que nous avons emprunté le plus grand nombre de nos étymologies.

L’étymologie une fois trouvée, que manque-t-il pour régler l’orthographe, et déterminer la prononciation régulière des mots ? Rien, surtout avec le secours des bons écrivains pour la langue écrite, et le tact des gens du monde pour la langue parlée. Si, parfois, dans cette partie où le caprice et l’ignorance se sont longtemps permis maintes libertés, il nous est arrivé de nous écarter de l’usage reçu, nous n’en avons pas moins fait tous nos efforts pour marcher constamment avec le respect et les ménagements que tout grammairien doit au génie de sa langue.

Mais les mots ne sont que les matériaux des langues, et ne sont pas les langues elles-mêmes. Il faut, pour former une langue, une convention plus difficile, la syntaxe, qui établit la forme dans laquelle les mots doivent être employés pour composer le discours. C’est donc la syntaxe qui constitue essentiellement une langue, qui lui donne un caractère propre. Cela étant, qui ne comprend que la grammaire et toute la grammaire, dans sa haute puissance philosophique, doit vivifier toutes les parties d’un Dictionnaire,