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VI PREFACE.

tater l’usage actuel de la langue « t enregistrer les richesses que le XIXe siècle ajoute à l’héritage des siècles précédents.

Pour ce qui regarde la langue classique, nous croyons avoir réussi à ne laisser échapper aucune des locutions employées par les bons auteurs depuis Malherbe jusqu’à Chateaubriand. Il y a même certaines expressions depuis longtemps réputées archaïques, que l’on retrouve seulement dans le courant de l’usage chez les écrivains du XVIe siècle, et que nous avons cru pourtant devoir conserver. Les unes, adoptées par La Fontaine, ont reçu de lui comme une grâce nouvelle et une sorte de consécration. Les autres, ravivées de nos jours et remises à la mode par les auteurs contemporains, semblent avoir quelque chance de rentrer en grâce et de refleurir.

Le dessein où nous étions de ne rien introduire dans notre ouvrage qui ne fût à la portée du plus grand nombre des lecteurs nous a fait rejeter tout ce qui regarde l’étymologie. Loin de nous, certes, la pensée de nier l’importance et l’attrait de cette branche de l’érudition. Mais, pour que ses résultats soient présentés avec profit, il faudrait, un mot français étant donné, le comparer avec chacun des mots grec, latin, italien, espagnol, etc., qui ont avec lui de l’analogie, et montrer suivant quels procédés chaque idiome s’approprie la forme primitive. Une telle exposition dépassait les bornes de notre cadre, et nous avons mieux aimé ne pas l’aborder que de donner des explications écourtées et partant inutiles. Un bon juge en ces matières, un des maîtres de la littérature contemporaine, M. Villemain lui-même, avait d’avance légitimé cette exclusion : « La science étymologique, dit-il dans la préface du Dictionnaire de l’Académie, est, selon le caractère des recherches, ou une curiosité tantôt facile, tantôt paradoxale, ou une étude féconde qui, d’un côté, tient à la partie la plus obscure de l’histoire, de l’autre, à l’analyse de l’esprit humain, à l’invention des langues et à la perfection de la parole. Pour nos langues de filiation latine en particulier, indiquer, à côté du terme moderne, le mot latin d’où il dérive, c’est faire peu de chose et parfois se tromper : car parfois le terme latin avait lui-même une racine septentrionale, à laquelle touchaient, avant la conquête romaine, les anciens habitants de notre sol, qu’on appelle nos pères. De plus, lors même que la dérivation du latin vers nous est évidente, souvent le mot, expressif à son origine, est devenu pour nous sans couleur. Le dictionnaire qui, au mot RIVAL, ajoutera pour racine le mot latin RIVALIS, ne m’apprend rien, s’il ne m’explique comment les laboureurs latins et les jurisconsultes romains appelaient rivales les deux riverains qui se partageaient et souvent se disputaient un ruisseau, pour arroser leurs prés, et comment ce mot a pris de là un sens moral, éloigné du terme primitif. Il en est de même de presque tous les mots. Dire que DÉSIRER vient de DESIDERARE, et CONSIDÉRER de CONSIDERARE, CALAMITÉ de CALAMITAS, ADMIRER de MIRARI, c’est presque ne rien dire ; c’est traduire un chiffre par un autre chiffre, à moins d’entrer dans l’explication même du terme étranger importé par nous. »

Quelques auteurs ont cru bien faire de placer à côté de chaque mot écrit régulièrement le même mot orthographié d’une manière différente et, suivant eux, plus conforme à la prononciation. Idée malencontreuse et qui a de graves inconvénients.