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« Si les soldats étrangers, — ce qui est bien naturel, — traitent les provinces en pays conquis, les chefs leur donnent l’exemple et sont d’ailleurs comblés de cadeaux par le maître. C’est la ruine du trésor. Lorsque j’étais à Rome avocat du fisc, je me souviens que, sur un rescrit d’Alexandre Auguste, on paya à un tribun militaire vingt livres pesant d’argenterie, six grandes patères, deux mulets, deux chevaux, deux uniformes, une robe d’intérieur, un costume de bain, cent auréus, un cuisinier, un muletier. Il faut bien habiller et meubler des officiers sortis des derniers rangs de la plèbe et qui sont venus à l’armée sans souliers. Comme celle du prolétaire, l’avidité de ces hommes nouveaux est insatiable. De là leur conviction à tous qu’une guerre doit rapporter au peuple non seulement de l’or, mais toute espèce de butin, des esclaves, des troupeaux, des grains, des salaisons, et jusqu’à des habits tout faits. Un jour viendra, pensent-ils, où l’univers entier nourrira le peuple romain. « Ce jour-là, on n’aura plus besoin de soldats. La République régnera tranquillement sur toutes les nations et jouira sans trouble de tout ce qu’elle possède. Plus d’armes, plus d’impôts, plus de guerres. Partout la paix, partout les lois romaines, partout nos magistrats !… » Ce rêve insensé, tu sais bien que je ne l’invente pas. Ces paroles mêmes, je les ai entendu prononcer par des personnages consulaires. Elles l’ont été officiellement par des empereurs et tu les trouveras consignées dans tes histoires.

« En attendant, la guerre reste l’unique moyen de rassasier les masses. L’idéal de tous, c’est l’athlète victorieux qui écrase l’adversaire, le cocher frénétique qui passe sur le ventre des autres coureurs. Et c’est pourquoi, en face de ces brutes qui tuent misérablement pour des biens périssables, nous avons dû dresser l’athlète chrétien qui se laisse tuer pour une félicité et pour une gloire immortelles.

« Cher Cyprien, si je juge ainsi ce monde charnel qui