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panetières et leurs hameçons. La foule applaudissait les déguisements qui lui semblaient les plus ingénieux. En revanche, elle conspuait ou criblait de ses railleries les costumes déplaisants, les silhouettes impopulaires. Des quolibets, puis des injures, des cris menaçants accueillirent des individus qui marchaient pieds nus dans des sandales grossières et qui étalaient la barbe de bouc des philosophes, le bâton, le manteau troué et la besace. Mais on salua d’acclamations frénétiques une guenon apprivoisée, coiffée d’une mitre phrygienne, qui se trémoussait dans des pantalons flottants à la mode asiatique et qui tendait une pomme d’or, pour singer Pâris entre les trois déesses. Cela devint du délire quand on vit surgir, par-dessus les têtes, dans une chaise à porteurs roulant sur les épaules de superbes Liburniens, une ourse affublée en matrone, un mouchoir dans une patte et un parasol dans l’autre.

La clameur s’apaisa, puis reprit de plus belle au passage du dieu lui-même environné de son thiase. Travesti comme ses fidèles, l’indolent Bacchus était vêtu d’une robe de soie jaune, serrée très haut sous les aisselles, et, par un contraste cherché, il exhibait sur ses épaules la peau de lion et la massue d’Hercule. Comme toujours, le vieux Silène, à califourchon sur son âne, escortait le maître fanfaron. Immédiatement après eux, c’était la horde bruyante et fanatique des initiés, qui se livraient à toute espèce de contorsions, en agitant des thyrses et des nébrides. Certains faisaient mine de se jeter sur les spectateurs pour les détrousser ou les rouer de coups. D’autres poursuivaient les femmes apeurées, en tordant dans leurs mains des paquets de couleuvres. D’autres, qui tournaient indéfiniment sur eux-mêmes, poussaient un hurlement continu, épouvantable, comme un hurlement de bête fauve. D’autres s’affaissaient, roulaient sur le sol, les yeux hagards, l’écume à la bouche. Et ils brandissaient des encensoirs, décrivaient des cercles de feu avec des cierges et des torches, cognaient sur des