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lumière, le Village Rouge étageant ses cubes de pisé, pareils à des stratifications de boue cuite à l’haleine véhémente d’un four. La pâte cuivrée des bâtisses se détachait intensément sur les coulées rocheuses du Calcéus et les pylônes vermeils de la Porte d’Or. Les surfaces planes des terrasses vibraient sous le soleil comme une onde en ébullition, tandis que les portes surbaissées et les petites ouvertures rondes des murailles y découpaient des trous noirs comme des nids d’abeilles. Mais la jeune fille avait, devant elle, pour reposer ses yeux, les jardins de l’oasis, paradis minuscules pleins d’eaux courantes et de verdures, qui prenaient un air d’enchantement, un aspect de fantasmagorie et d’irréalité au milieu de cette désolation et de cette sécheresse mortelle des sables. De chaque côté de l’oued, sur la double pente du vallon, où s’encaissait le lit de la rivière, un fouillis de jardinets en amphithéâtre se superposaient, déchiquetés par des clôtures basses en terre battue, arrosés par des canaux au léger glissement d’eau murmurante. Sous les parasols des palmes, dans une pénombre traversée de rayons, brillaient des fruits et des fleurs de légumes, — les papillons rouges et blancs des fèves et des pois chiches, la grêle dorée des abricots crevant les feuilles, les balles vertes ou bleues des prunes et des citrons mûrissants.

Birzil, affamée par ses longs jeûnes, cueillait une figue ou une grenade sur une branche à portée de sa main. Et, tout en pressant entre ses lèvres la pulpe fraîche des fruits, elle s’amusait à considérer les petites rainettes aux yeux d’or, qui sortaient des canaux, et qui, enhardies par son immobilité, se posaient, tout près d’elle, sur un caillou, et qui restaient là un instant, la gorge palpitante, comme si elles savouraient l’air avec délices. Des lézards bleus, à longue queue, glissaient d’une pierre à l’autre, le cou dressé, d’un air fringant, tels des oiseaux qui volètent au ras du sol. Du lit de l’oued, l’odeur âcre des lauriers-roses montait jusqu’à la terrasse et, quand Birzil se penchait sur le mur d’appui, elle voyait leurs racines