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s’était laissé éblouir avec tant de naïveté et d’enthousiasme juvéniles par le mirage des mœurs et des pays nomades. Maintenant, tout cela lui faisait horreur.

D’abord, le meurtre de Thadir, tuée presque dans ses bras, lui avait causé un tel ébranlement que, même après ces semaines de repos et de vie paisible, ses sommeils étaient toujours traversés de cauchemars et de visions de carnage. Le corps de l’esclave était tombé à ses pieds, et le sang, qui s’échappait à gros bouillons de la gorge trouée, avait rejailli jusque sur sa stola. Elle ne dut alors son salut qu’à un jeune capitaine maure qui, devinant tout le prix d’une pareille capture, la mit à part du butin et la vendit, le soir même, au Maltais Salloum. Sa figure à la fois espiègle et candide, la gracilité presque enfantine de son corps, toutes ces apparences d’extrême jeunesse la protégèrent ensuite contre la brutalité de Sidifann, lorsque le marchand d’esclaves vint l’offrir à celui-ci. Le vieux chef, l’ayant achetée pour une somme considérable, ordonna qu’on la conduisît à sa tente et qu’on l’inscrivît parmi les vierges destinées pour plus tard à son gynécée et dont une matrone dirigeait l’éducation.

Comme les illusions cultivées en elle par Thadir s’étaient rapidement évanouies, — cette Thadir qui était cause de son malheur ! Et pourtant elle se disait qu’elle ne pouvait pas en vouloir à la vieille femme. La misérable l’avait tant aimée, — aimée au point de mourir pour elle ! Et puis elle avait tant souffert dans son affreuse vie d’esclave ! Au cours de leurs longues causeries, elle avait tout conté à Birzil. Née au pays des Arzuges, enlevée toute petite, dans une razzia, par les guerriers d’une tribu voisine, puis vendue dans la maison de Pompeianus, elle avait été martyrisée par les autres esclaves. Plus grande, elle était devenue le jouet des servantes romaines, qui se moquaient de ses cheveux crépus et de son teint basané et qui la traitaient de petite guenon brune. Ces brimades et ces sévices n’aboutissaient qu’à la renforcer davantage dans sa barbarie native. Et pourtant elle ne dédai-