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« C’est le solvicatenas, dit Mappalicus, l’endroit où l’on ôte les entraves à ceux qui vont travailler et où on les rattache à ceux qui rentrent du chantier.

– Mais quel besoin de les frapper ? dit Cécilius, que cette nouvelle confrontation avec la souffrance des misérables mettait mal à l’aise.

– Ah ! maître, ignores-tu qu’ils s’exècrent entre eux beaucoup plus qu’ils ne nous détestent, nous leurs geôliers ?… Si nous n’étions pas là avec nos nerfs de bœuf, ils se massacreraient les uns les autres. »

Effectivement, la plupart avaient une apparence d’animaux féroces qui rentrent leur colère sous la menace du dompteur. Pieds nus, la tête à demi rasée, le front brûlé d’une marque rouge, n’ayant pour tout vêtement qu’une blouse courte et un tablier de cuir froncé autour des hanches, ils défilaient deux par deux, le pic d’abattage ou la barre à forer sur l’épaule. Un chef d’escouade, un colosse, armé d’une massue en cœur de chêne, les talonnait de près. Et, sans cesse, par petits groupes de six, ils débouchaient des galeries pleines de tumulte et de lueurs intermittentes, dans un courant d’air chargé des mêmes émanations chaudes : odeur de misère et de pourriture, fétidité d’étable humaine. On sentait devant les bouches de ces vomitoires, qui se développaient pendant des lieues, comme la respiration d’une ville énorme et lointaine, le halètement de tout un peuple de damnés.

« Mais combien sont-ils donc ? jeta tout à coup Cécilius, que ce défilé interminable hallucinait.

– Je ne sais, maître, dit Mappalicus. Pour moi, j’en ai plus de deux mille sous mes ordres… Qui peut connaître leur nombre ? Ils sont des milliers, venus de tous les pays du monde. Ils vivent dans des cryptes comme celle-là, parqués à la façon des bêtes, mangeant, dormant, satisfaisant leurs besoins en une promiscuité dégoûtante. Ils n’en sortent que morts, pour ne pas achever d’infecter la mine. Alors, on leur accorde l’honneur de passer par le puits des chefs. On les remonte sur le plateau qui t’a