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Trimolois, qu’on dirait un pèlerin cousu de coquilles ; — et sous les murs de Dijon, au-delà des meix de l’abbaye de St-Bénigne, le cloître de la Chartreuse, blanc comme le froc des disciples de saint Bruno.

« La Chartreuse de Dijon ! le Saint-Denis des ducs de Bourgogne [11] ! Ah ! pourquoi faut-il que les enfants soient jaloux des chefs-d’œuvres de leurs pères ! Allez maintenant où fut la Chartreuse, vos pas y heurteront sous l’herbe des pierres qui ont été des clefs de voûtes, des tabernacles d’autels, des chevets de tombeaux, des dalles d’oratoires ; des pierres où l’encens a fumé, où la cire a brûlé, où l’orgue a murmuré, où les ducs morts ont posé le front. — O néant de la grandeur et de la gloire ! on plante des calebasses dans la cendre de Philippe-le-Bon ! — Plus


11. ↑ Je ne compare la Chartreuse de Dijon à l’abbaye de St-Denis que sous le rapport de la magnificence et de la richesse de ses sépultures. Trois ducs seulement ont été inhumés à la Chartreuse, Philippe-le-Hardi, Jean-sans-Peur, et Philippe-le-Bon ; et je n’ignore pas que l’Église de Cîteaux avait communément reçu, depuis Eudes Ier, les dépouilles des ducs de la première et de la seconde race royale. — C’est Philippe-le-Hardi qui fonda la Chartreuse en 1383. Tout n’y était que lambris de bois d’Irlande, que chasubles et tapis de drap d’or, que courtines d’étoffes de Chypre et de Damas, que bénitiers et chandeliers d’argent, que lampes de vermeil, que chapelles portatives à personnages d’ivoire, que peinture et sculptures exécutées par les premiers artistes du temps. La vaisselle pour le service de l’autel pesait 55 marcs. — Le marteau de la révolution en jetant en bas la Chartreuse avait dispersé dans les cabinets de quelques curieux les débris des tombeaux de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-Peur et de Marguerite de Bavière, femme de ce dernier. (Charles-le-Téméraire n’avait point fait élever de monument à son père Philippe-le-Bon.) Ces chefs-d’œuvres de l’art du XVe siècle ont été restaurés et placés dans une des salles du musée de Dijon.