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autour d’un feu allumé dans le val herbu et désert, jusqu’à ce que les premiers coups de cognée du bûcheron ébranlassent les chênes ! Ah ! monsieur, combien la solitude a d’attraits pour le poète ! J’aurais été heureux de vivre dans les bois et de ne faire pas plus de bruit que l’oiseau qui se désaltère à la source, que l’abeille qui picore à l’aubépine et que le gland dont la chute crève la feuillée !...

— Et l’art, lui demandai-je ?

— Patience ! l’art était encore dans les limbes. J’avais étudié le spectacle de la nature, j’étudiai les monuments des hommes.

« Dijon n’a pas toujours parfilé ses heures oisives aux concerts de ses philharmoniques enfants. Il a endossé le haubert — coiffé le morion — brandi la pertuisane — dégaîné l’épée — amorcé l’arquebuse — braqué le canon sur ses remparts — couru les champs tambour battant et enseignes déchirées, et, comme le ménestrel gris de la barbe qui emboucha la trompette avant de racler du rebec, il aurait de merveilleuses histoires à vous raconter, ou plutôt, ses bastions croulants, qui encaissent dans une terre mêlée de débris les racines feuilleuses de ses marronniers d’Inde, et son château démantelé dont le pont tremble sous le pas éreinté de la jument du gendarme regagnant la caserne, — tout atteste deux Dijons : un Dijon d’aujourd’hui, un Dijon d’autrefois.

« J’eus bientôt déblayé le Dijon des quatorzième et quinzième siècles, autour duquel courait un branle de dix-huit tours, de huit portes et de quatre poternes ou portelles, — le Dijon de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-