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Nos cantiques de joye où Dieu daignoit se plaire,
Entre tant de douleurs condamnez à se taire
Par le martel ennuy regnant en nostre cœur,
Et nos luts qui pendoient aux saules de la rive,
Ploroient en se taisant sa liberté captive,
Et souspirante aux pieds d’un superbe vainqueur.

Bien nous alloient pressant d’en rompre le silence
Ceux qui de nos malheurs paissans leur insolence
Nous avoient pour jamais aux liens condamnez :
Et nos dolentes voix estoient presques contraintes
De mesler des chansons aux souspirs de nos plaintes
Par ceux qui triomphans nous menoient enchainez.

Chantez nous (disoient-ils) quelqu’un de ces cantiques
Qui faisoient retentir les resonnans portiques
De vostre fameux temple en glorieux accens
Lors que quelque victoire à Sion advenuë
Poussoit vos cris de joye au dessus de la nuë,
Et chargeoit vos autels d’offrandes et d’encens.

Helas (respondions-nous, parlant dedans nous mesmes)
Pourrions-nous bien redire en ces douleurs extrémes
Les vers que nous chantions le front paré de fleurs ?
Superbes cruautez de nos maux non soulees,
Ignorez-vous encor qu’aux ames desolees
Commander les chansons c’est conseiller les pleurs ?

Non, ja ne plaise au ciel, que la barbare audace
Nous face prophaner par priere ou menace
Les saincts vers qu’Israël chantoit en son bon-heur :
Plustost soient par la mort nos douleurs assoupies,
Que nous facions entendre à ces terres impies
Les hymnes consacrez au seul nom du Seigneur.

Irions-nous bien si tost effaçant de nos ames
Les larmes de Sion destruite par les flames,
Et gemissante encor dessous un joug de fer,
Pour flater de nos chants le superbe courage
De ceux qui sans pitié nous tiennent en servage,
Les faisant de nos maux nous mesmes triompher ?