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Persevere, Seigneur, ne baille point ma vie
En pillage au Tyran qui l’a tant poursuivie :
Mais, comme il nous a faict, le faisant souspirer,
Au sang de ses sujets trempe son diadême,
À fin que justement il éprouve en soy-mesme
Les maux qu’injustement il m’a fait endurer.

Car sa main ne se plaist qu’aux méchans artifices :
La seule impieté luy fournit de delices :
Et son cœur, dont la rage est souvent sans effect,
Paist de si fiers desseins le desir qui l’affame,
Qu’au jour où le cruel n’a point souïllé son ame
De quelque méchant acte, il croit n’avoir rien faict.

Rens luy ce qu’il merite, et nous sois favorable,
Donnant quelque remede à l’ulcere incurable
Qui rongeant ce Royaume a destruit sa beauté,
Encor que nous vivions si dignes de misere,
Que nous faire du bien ce soit presque malfaire,
Et prophaner en vain les fruits de ta bonté.

Voy quel malheur poursuit ces terres desastrees,
Et quel heur cependant rit dedans les contrees
Qu’une constante paix habite autour de nous,
Sans qu’encor la fureur des violens orages
Qui dans ce pauvre Estat causent tant de naufrages
Ait peu troubler un air si tranquile et si doux.

Là le peuple fleurit en repos et liesse,
Comme ces arbrisseaux plantez en leur jeunesse
Dedans l’humide sein d’un fertile terroir :
Là comme un riche temple à colomnes dorees,
Les dames en tout temps superbement parees
S’enflent d’un doux orgueil regardant le miroir.