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Qui ne pouvant du corps s’esloigner de la pompe
Des folles vanitez dont le lustre nous trompe,
S’en va de la pensee et de l’ame esloignant :
Si bien qu’au monde mesme il est absent du monde,
Et n’a rien és grandeurs dont sa fortune abonde
De si grand qu’un grand cœur sans fard les dedaignant.

Cet homme-là ressemble à ces belles olives
Qui du fameux Jourdain bordent les vertes rives,
Et de qui nul Hyver la beauté ne destruit :
Les ruisselets d’eau vive autour d’elles gazoüillent :
Jamais leurs rameaux verds leur printemps ne despoüillent,
Et tousjours il s’y trouve ou des fleurs ou du fruit.

Nul effroy, nulle peur en sursaut ne l’éveille :
Endormy Dieu le garde, éveillé le conseille :
Conduit tous ses desseins au port de son desir :
Puis fait qu’en terminant son heureuse vieillesse,
Ce qu’il semoit en terre avec peine et tristesse,
Il le recueille au ciel en repos et plaisir.

Il n’en va pas ainsi de celuy qui mesprise
Et la loy du Seigneur, et la voix de l’Eglise,
Soy-mesme estant son Dieu, son Eglise, et sa loy :
Sa plus parfaicte joye en douleurs est feconde :
Et bien qu’il semble avoir son Paradis au monde,
Si porte-il malheureux son enfer quant et soy.

Le ver qui dans le cœur jour et nuit le consume
Tournant tous ses plaisirs en dolente amertume,
Luy fait avec horreur regarder le Soleil :
Et plein d’un desespoir qui sans cesse l’outrage,
Il voit à tous moments l’espouventable image
De l’eternelle mort errer devant son œil.