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STANCES SUR LA FORTUNE

La fureur du demon qui depuis tant d’annees
Arme d’un vain effort la main des destinees
Contre nostre grand prince, et poursuit sa valeur,
N’ayant peu ny par force és perils de la guerre,
Ny par trahison en paix l’accabler sur la terre,
Luy tend dessus les eaux un filet de malheur.
Au soir comme il traverse avec sa chere espouse
Le fleuve, dont Paris ses campagnes arrouse,
Ce malheur les y fait tout d’un coup abismer :
Si bien qu’en mesme temps on voit tomber en l’onde
Les soleils de la France, et le soleil du monde,
Les uns dedans un fleuve, et l’autre dans la mer.
Un million de cris et de voix gemissantes
S’éleve la dessus des bouches pallissantes
De ceux qui pensent voir qu’en ce mesme accident
Petit avec le roy le sceptre de la France,
Que pour elle est esteint tout astre d’esperance,
Et que ce soir en est l’eternel occident.
Mais le celeste bras qui soustient cet empire,
Par le secours des siens aussi-tost l’en retire,
Tel qu’on voit le soleil au poinct de son coucher,
Sous le cercle du ciel qui tient son nom de l’ourse,
Ressortir hors des flots, et reprendre sa course
Aussi-tost que son pied commence a les toucher.