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Ou bien je represente en parolles communes
L’horreur et de ta mort et de noz infortunes,
Un pygmee exprimant un geant en hauteur :
Dont accusant mes vers, honteux je les déchire :
Si bien qu’à tous moments, ayant cessé d’écrire,
La fin de mes écrits c’est fascher leur autheur.
Quoy, (dy-je en regardant ce naufrage publique
Devant qui la grandeur du vers le plus tragique
Sembleroit se douloir en parolles de jeu)
Ravalleray-je icy par une indigne plainte
Nostre perte, et le dueil dont la France est attainte ?
Ou sentiray-je tant, et diray-je si peu ?
Ô grand roy le support des lettres et des armes,
Reste plustost non plaint, que plaint d’indignes larmes.
Dont un nom si fameux ne puisse estre honoré.
Soit demandé plustost pourquoy loüant ta vie
Je ne t’ay point pleuré quand on te l’a ravie,
Que pourquoy mal’heureux je t’ay si mal ploré.
La France cognoistra, si ma voix se desire,
Que ce qui me fait taire, est avoir trop à dire,
Et que mon esprit cede à l’ennuy son vainqueur :
Que l’horreur en ma bouche estouffe ma harangue :
Et qu’un si triste coup me tranche icy la langue,
Tout ainsi qu’il transperce, et fait saigner mon cœur.
Aussi bien Apollon n’anime plus ma veine,
Comme il faisoit du temps que la docte neufvaine
Donnoit vol à ma plume en un âge plus doux :
Ou pleurons ce mal’heur en meilleurs heraclites,
Ou fuyons de donner aux françois democrites
Un sujet en nos pleurs de se rire de nous.
Ainsi dy-je, semblable à cet archer antique
Qui craignant de soüiller d’une honte publique
Le renom de sa main par l’âge s’empirant,
Ayma mieux (tant l’honneur possedoit son envie)
Perdre en ne tirant point sa franchise et sa vie,
Que de perdre d’un coup sa gloire en mal tirant.