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Mais que le reputant avec quelque douleur,
Du sang, non du metail, bien qu’il ait sa couleur,
Il ait horreur de perdre en des dépences vaines,
L’ame de ses sujets, et l’humeur de leurs veines.
Ce grand prophete et roy si cogneu par ses chants,
Voulut boire d’une eau sourdante emmy des champs
Sur qui ses ennemis espandoient leur armee,
Tenant ainsi la source en leur camp enfermee :
Trois de ses colomnels, contempteurs de la mort,
Donnent dedans ce camp : penetrent jusqu’au fort
Pres de qui ceste source incessamment feconde,
Faisoit voir le soleil à l’argent de son onde :
Le coutelas au poing s’avancent d’en puiser :
Forcent tous les efforts qu’on leur sçait opposer,
Et tous couverts de coups, mais plus encor de gloire,
L’apportent au grand roy qui desiroit d’en boire.
Mais luy se souvenant par combien de trespas
Ces trois vaillants guerriers avoient conduit leurs pas,
Allants ainsi chercher la source desiree,
Refusa de l’offrir à sa bouche alteree :
Car qu’est-ce icy, dit-il, fors le sang de ces cœurs
Qui pour moy s’exposans sont retournez vainqueurs
Et sçachant ce que Dieu de nos ames demande,
En fist à son autel une devote offrande.
Que nostre jeune prince un jour en use ainsi
De l’or que ses sujets pleins du juste soucy
Dont le devoir époind des volontez loyalles,
Offriront au soustien de ses charges royalles :
Qu’il mette comme en veuë aux yeux de son penser,
Avec quelles sueurs on a peu l’amasser ;
Quelle rigueur, peut estre, en son nom exercee
L’aura tiré du sein de la venuë oppressee,
Du chetif artisan, du triste vigneron
Que la pauvreté mesme éleve en son giron :
Et die avec pitié de sa pauvre abondance :
C’est le sang de mon peuple, et sa pure substance :