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il qu’un sainct zele en leurs ames habite,
C’est un zele imprudent qui les perd sans merite :
Et tellement le vice aux vertus s’y conjoint,
Que presque leurs effects ne se distinguent point.
Non que tousjours le mal au bien ne soit contraire,
Mais c’est qu’estans sans moy qui seule leur esclaire,
Ils font mal le bien mesme, ou font hors de saison
Un bien qui n’est point bien estant fait sans raison ;
Et des belles vertus, semences de la gloire,
Ils moissonnent des fruicts qui tachent leur memoire.
Quel renommé laurier s’est jamais remporté
Que presque je ne l’aye au vainqueur appresté ?
Tu combats vaillamment, et fais que l’on te donne
Es victoires du fer la premiere couronne :
Mais c’est moy qui par l’art des presages humains,
En dispose la gloire à l’effort de tes mains.
C’est moy qui prudemment choisy les avantages
Dont le temps et les lieux secondent les courages :
C’est moy qui sçavamment range les esquadrons,
Et qui leur fais monstrer ou les flancs ou les fronts,
Selon qu’on les veut voir, d’une ruse guerriere,
Enfermant l’ennemy le charger par derriere,
Ou teste contre teste avec luy s’esprouvant,
En lions irritez l’assaillir par devant,
C’est moy qui d’une embusche heureusement dressee
Te secours au besoin quand je te voy pressee :
C’est moy qui bien souvent t’empesche d’y tomber,
Chassant un ennemy qui faint de succomber :
Bref, c’est moy qui d’une ame incessamment veillante
T’assiste, et fais qu’en vain tu ne sois point vaillante.
Que si ne pouvant estre et sage et hazardeux,
Un grand devoit manquer de l’une de nous deux ;
La raison nous vouëroit aux glorieuses peines,
Toy des braves soldats, moy des grand capitaines ;
Comme estants mes effects propres à commander,
Et les tiens à se voir vaillamment hazarder.
Mais quoy que nostre humeur assez peu se ressemble,
Un mesme esprit peut bien nous allier ensemble.