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Ton merite est bien grand, mais la gloire du mien
Ou le surpasse encor, ou ne luy cede rien,
N’estant point de vertu, qu’on trouve m’estre égalle
Pour dignement regner dans une ame royalle.
Car qu’un roy soit tout plein de desseins genereux,
Qu’il soit tant qu’on voudra constant et valeureux,
Clement, et liberal, et juste, et veritable,
Et que la pieté d’un zele inimitable
Tienne en luy sous ses pieds tous vices abbatus,
S’il est privé de moy qui suis l’oeil des vertus,
Il use aveuglement, et presqu’avec offence,
De ces divins tresors par faute de prudence :
Et ressemble un vaisseau jà flottant en la mer,
À qui nul des apprests destinez pour l’armer
Ne manque en nul endroit pour son juste equipage,
Soient vivres, soient rameurs, soient voiles, soit cordage :
Tant seulement luy manque un pilotte sçavant
Qui d’un frein de sapin, avec art le mouvant,
Le guide sur les flots, luy serve comme d’ame,
L’empesche d’user mal et de voile et de rame,
Leur impose ses loix, et d’une docte main
Le garde de le perdre, ou de voguer en vain.
Que si le vent enflant ses voiles estalees
Le transporte sans luy sur les pleines sallees,
Il erre à l’adventure, et va d’un triste choc
Sacrifier sa charge au pied de quelque roch.
Il en prend tout de mesme aux princes de la terre
Qui font sans mes conseils ou la paix ou la guerre :
Et qui des autres dons qu’ils ont receuz des cieux,
Se vont, faute de moy, servants comme à clos yeux.
Ils prosperent si peu, que, comme d’un naufrage,
De leur propre bon-heur ilz tirent du dommage :
Leur valeur ne produit que des tristes effects :
Viennent-ils au combat ? Ils se trouvent deffaicts :
Gaignent-ils la victoire ? Ils perdent la campagne ;
Et quelque repentir par-tout les accompagne.
Leurs liberalitez desobligent les cœurs :
La clemence est en eux pire que les rigueurs :
Avient-