Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/512

Cette page n’a pas encore été corrigée

 suitte de bancs l’un à l’autre enfilez,
Portans de divers noms leurs fronts intitulez,
En bordoient les parois du long âge enfumees,
Perches de mains oyseaux aux griffes enplumees,
Et dont la plume agile est apprise à voller
Pour ce riche metal qui fait taire et parler.
Nul ordre n’y regnoit : une bruyante presse
Roullante en tourbillons, s’y demenoit sans cesse,
Grosse de tous estats, de prestres, de marchands,
De nobles, de bourgeois, de laboureurs des champs :
On s’y poussoit l’un l’autre allant parmy ses ondes
Qui deçà, qui delà se portoient vagabondes.
L’un crioit sans respect, l’autre se courroussoit :
L’un courtisoit son juge, et l’autre le pressoit :
Qui parloit d’un deffaut, qui d’une guarantie :
Cestuy-cy querellant menaçoit sa partie :
Cestuy-là démentoit le rapport d’un tesmoing :
Huissiers alloient, venoient, leurs baguettes au poing.
Un dessein d’advocats fourmilloit par la place,
Dont les moins occupez en mesuroient l’espace :
Tout boüilloit de discords ; et quand l’un s’achevoit,
L’autre prenoit naissance : un bruit s’en élevoit,
Tel qu’on oit quelquesfois sur le bord du rivage,
Lors que la mer s’appreste aux fureurs d’un orage.
Aupres de tant de flots, la nuict seule accoisez,
Paroissoit un vieillard qui seul, les bras croisez,
Les yeux fichez en haut, et le visage blesme,
Monstroit bien de loger quelque dueil en soy-mesme.
L’ange l’appercevant porta vers luy ses pas,
Et se feignant sujet à la loy du trespas,
Bon pere (luy dit-il, pour sonder sa pensee)
Où pourray-je trouver la Princesse Dicee
Que je cherche par tout avec peine et soucy,
Et qu’en vain mon espoir cuidoit trouver icy ?
Dicee ! He mon enfant, elle n’est plus au monde.
(respondit le vieillard, laschant presque la bonde
Aux pleurs qu’il retenoit, et jettant un souspir)
Ce feu que la mort seule a pouvoir d’assoupir,
Ceste bruslante