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Il faut qu’un long exil tes erreurs accompagne :
Il te faut sillonner une vaste campagne
De tempesteuses mers : puis, apres quelques ans,
En fin tu parviendras aux champs gras et plaisants
De la belle Hesperie, et des terres fecondes
Que le Tybre en coulant fend de ses douces ondes.
Là, tout bon-heur t’attend : là, le cours des destins
Te reserve un royaume és rivages latins,
Et le nouveau lien d’un royal hymenee.
Ne vueilles plus en vain plorer ma destinee :
Mon oeil ne verra point les fieres regions
D’où le Dolope armé tira ses legions,
Et pour user ma vie en langueur et tristesse,
Je n’iray point servir les matrones de Grece,
Moy, race des grands roys de Dardane venus ;
Et belle fille encor de la belle Venus :
Car la mere des dieux, nostre grande Cybelle,
Me retient sur ces bords arrestee aupres d’elle.
Or adieu pour jamais : conserve en toy l’amour
De nostre cher enfant jusqu’à ton dernier jour.
Ayant ainsi parlé, ceste ombre se retire,
Sur le poinct que pleurant, et voulant beaucoup dire,
J’ouvrois ma palle bouche afin de luy parler :
Se dérobe à mes yeux, et se dissipe en l’air.
Par trois fois j’essayay d’arrester sa vollee,
Luy donnant de mes bras une estroitte accollee :
Mais par autant de fois, l’idole estreinte en vain
Eschappa de ma prise, et me trompa la main ;
Pareille aux vents legers, et semblable en son estre
À ces songes vollants que le somme fait naistre.
Les moments de la nuict s’estans coulez ainsi,
Je retourne au vallon, vers mon autre souci :
Et là, je m’estonnay, pour la nombreuse suitte
Des nouveaux compagnons donnez à nostre fuitte,
Qu’ensemble j’y trouvay si soudain addressez :
Hommes, femmes, enfans, jeunes gens ramassez,
Piteuse colonie, et peuple miserable,
Recueilly pour souffrir un exil perdurable.