Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/351

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le feu tout devorant monte jusqu’à la cime,
Poussé de sa furie, et du vent qui l’anime :
On voit haut par dessus les flammes en voller,
Et l’ardante tempeste en forcener dans l’air.
Je m’avance plus outre, et passe à la mesme heure
Au palais où Priam avoit fait sa demeure :
Mais là, dans le portique, et les plus sacrez lieux
Où fut l’asyle sainct de la reine des dieux,
Phoenix et l’itaquois ont l’oeil dessus la proye,
Esleus pour la garder. Là les thresors de Troye
Ravis du plus sacré des temples embrasez,
Là les tables des dieux au pillage exposez,
Les couppes d’or massif, et les robes captives,
S’entassent par monceaux entre les mains argives.
Tout en pleurs et souspirs, un grand peuple esperdu
De femmes et d’enfans, est autour épandu.
Mesme en ceste douleur osant par les tenebres
Jetter des cris en l’air, et des plaintes funebres,
Je remply les chemins de lamentables voix,
Et le nom de Creüse appellay par trois fois.
L’appellant, la cherchant d’un labeur inutile,
Et forcenant sans fin par les toits de la ville,
Sa miserable idole attainte de mon dueil,
Et son ombre parlante apparut à mon oeil,
Sous les traits d’une image emmy l’air exprimee
Surpassant en grandeur sa forme accoustumee.
J’eu peur en la voyant, mon poil se herissa,
Et ma voix en ma bouche à l’instant se pressa :
Mais lors elle me parle, et de ce doux langage
M’arrache la douleur du profond du courage.
Que te sert, cher espoux, ce labeur insensé ?
Rien sans l’adveu des dieux ne s’est icy passé.
Les destins disposans des fortunes humaines
Ne veulent point souffrir que d’icy tu m’emmeines,
Ny ne l’accorde point l’arrest de ce grand roy
De qui le clair Olympe escoute et suit la loy.