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Pour gaigner un destour loing des pas s’écartant,
Je ne sçay si Creüse en chemin s’arrestant
Servit à mes malheurs d’une fatale proye,
Ou si par ces destours s’égarant de la voye,
Trop lasse elle s’assist, mais la rigueur des cieux
Ne rendit oncques puis sa presence à mes yeux :
Et je ne retournay vers elle ainsi laissee
Ny les regards du corps, ny ceux de la pensee,
Qu’avec mon doux fardeau je ne fusse arrivé
Sur le tertre où Ceres eut son temple eslevé :
Là, tous se recueillants à la faveur de l’ombre,
Elle seule se vit manquer à nostre nombre,
Frustrant par ce méchef qui la ravit à nous,
Et son fils miserable, et son chetif espoux.
Qui fut-ce des mortels, ou des immortels mesmes,
Que n’accuserent point mes insensez blasphemes ?
Ou qu’ay-je de plus triste, et plus digne de dueil,
En tout le sac de Troye apperceu de mon oeil ?
Emporté de douleur, plorant, je recommande
Au vigilant soucy de ma fidelle bande
Mon fils, mon pere Anchise, et nos penates saints :
Les cache au fonds d’un val : mes armes je receins :
Retourne sur mes pas, et resouds en mon ame
D’aller par toute Troye au milieu de la flame,
Repasser les hazards, mon salut mespriser,
Et derechef ma teste aux perils exposer.
En ce triste dessein, dolent, je me reporte
Vers la face des murs, et vers l’obscure porte,
Par où bien peu devant mon pied m’avoit conduit :
Et parmy l’épaisseur des ombres de la nuit,
Mon oeil jettant par tout les rais de sa lumiere,
Je recherche ma trace, et la suys en arriere :
L’horreur dont je me sens de tous costez surpris,
Fait le silence mesme effroyer mes esprits.
De là, vers mon palais ma course est retournee,
Incertain si son cœur l’avoit là remenee :
Mais un esquadron grec qui l’avoit assiegé,
S’y ruant en fureur, l’a desja saccagé :