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Nous la voyons passer, comme un trait débandee,
Par dessus nostre toict en la forest Idee,
Où sa course va fondre, et clairement traçer
Les chemins où nos pas se devoient addresser.
Un long sillon de feu dedans l’air s’en allume,
Dont la souffreuse odeur toute la coste enfume.
Lors mon pere vaincu se dressant vers les cieux,
Adore le sainct astre, invoque à soy les dieux :
Et se tournant vers nous : rien plus ne me retarde :
Je vous suy, nous dit-il. Dieux soyez nostre garde,
Et puis que vos arrests nous l’ont ainsi prefix,
Sauvez ceste maison, sauvez mon petit-fils :
Cet augure est de vous, et vostre main divine
Prepare encor à Troye une neuve origine.
Ô mon fils, je te cede, et ne refuse plus
D’accompagner tes pas, quoy que vieil et perclus.
Il achevoit ces mots, et ja sont entenduës
Bruire plus clairement les flammes épanduës,
Et les vagues de feu rouller à gros boüillons
Jusque tout contre nous leurs flambants tourbillons.
Or sus, mon pere aimé, suivons donc ceste addresse :
Assieds dessus mon cou ta debile vieillesse :
J’y soumettray l’espaule, aise de me charger
D’un faix qui m’estant doux me paroistra leger :
Au moins, quoy qu’il arrive, une mesme fortune,
Soit perte, ou soit salut, nous deviendra commune.
Qu’Iüle m’accompagne, et que Creüse ait soing
De remarquer nos pas les suivant de plus loing.
Vous autres serviteurs, souvenez-vous d’escrire
Dedans vostre penser le mot que je vay dire.
Au sortir des remparts un tertre s’offre aux yeux,
Sur qui les murs deserts, et le comble ja vieux
D’un temple de Ceres, élevent leur fabrique :
Et tout contre se plante un grand cyprés antique,
Plusieurs ans conservé sur les champs nourrissiers
Par le soucy devot de nos vieux devanciers :
Là, soit le rendez-vous : là, dessous l’ombre coye,
Que de divers endroits chacun tourne sa voye.