Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/330

Cette page n’a pas encore été corrigée

Enceint de ces guerriers, et voyant leur courage
Les porter au combat, il leur tiens ce langage :
Valeureux compagnons, mais valeureux en vain,
Puis qu’un ardant desir boüillonne en vostre sein
De me suivre où je vois par ces fieres allarmes
Tenter le dernier poinct de la chance des armes :
Voyez en quel estat nostre sort est reduit :
Les dieux qui cet empire ont eux-mesmes construit,
Delaissans leurs autels quittans leurs sanctuaires,
Se sont tous retirez en ceux des adversaires.
De quel reste d’espoir maintenant animez
Contre tant d’ennemis nous sommes-nous armez ?
En vain nostre valeur aux perils exposee
Tasche de secourir une ville embrasee :
Mourons, et d’un effort vaillamment furieux,
Lançons-nous au travers des dards victorieux.
N’esperer nul salut c’est un salut luy-mesme
Aux grands cœurs oppressez d’une infortune extresme.
Ayant ainsi parlé de fureur tout épris,
J’en augmentay l’ardeur de ces jeunes esprits.
Et lors, comme des loups que l’importune rage
Du ventre et de la faim tire hors du bocage,
Par l’obscur espaisseur des broüillars amassez,
Et que leurs louveteaux dans le giste laissez
Attendent halletans à gorges dessechees,
Nous allons au travers des fléches décochees,
Et du fer et des feux dont tout est devoré,
Nous mesmes nous lancer au trespas asseuré :
La nuict semant par tout son ombre noire et creuse,
Volle à l’entour de nous d’une aile tenebreuse.
Qui pourroit exprimer les horribles malheurs
D’une nuict si cruelle et feconde en douleurs ?
Ou le sac en descrire, et les morts inhumaines ?
Ou par ses tristes pleurs en égaller les peines ?
Un estat qui superbe avoit tant dominé,
Tombe à l’heure par terre à jamais ruiné :