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Aussi, tandis que l’heur qui suivoit sa sagesse
A fait florir son regne en puissance et richesse,
J’ay veu mes jeunes ans ornez de quelque honneur
Se sentir pres de luy des effects de son heur.
Mais depuis que la ruse, et la cruelle envie
De ce pipeur Ulysse ont mis fin à sa vie,
(ma langue en ce propos ne dit rien d’ignoré)
Decheu de tout espoir, miserable, éploré,
J’ay fait couler ma vie en larmes et tenebres,
Et n’ay repeu mon cœur que de plaintes funebres,
Souspirant jour et nuict le lamentable sort
De mon prince deffait par une injuste mort :
Ny ne m’en suis peu taire, affolé de ma perte,
Ains si jamais la voye en pouvoit estre ouverte,
Si jamais en Argos je retournois vainqueur,
Je promis aux ennuis qui devorent mon cœur
D’en faire la vengeance, et ma langue irritee
Rendit une aspre haine encontre elle excitee.
Aussi tous mes malheurs ont de là commencé,
Car le cruel Ulysse oncques puis n’a cessé
D’effroyer mon esprit par des crimes frivoles,
Semant emmy le camp mille obscures paroles,
Mille bruits ambigus, et cherchant tous les jours
À son coulpable cœur des armes pour secours :
Sans donner nul repos à ce traistre artifice,
Jusqu’à tant qu’à la fin, par Calchas son complice.
Mais pourquoy mon esprit r’aporte-il de si loing
Ces odieux discours sans qu’il en soit besoin ?
S’il faut que tous les grecs vous soient en mesme estime,
Si me dire l’un d’eux c’est un assez grand crime,
Repaissez de mon sang vostre esprit irrité :
Vous ferez ce qu’Ulisse a long temps souhaitté,
Et ce que, pour souler leur courroux homicide,
Acheteroient bien cher et l’un et l’autre Atride.
Ces mots ainsi tissus font qu’un ardent desir
D’en apprendre la cause alors nous va saisir,