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Si tost que ce trompeur devant nous arresté
Monstrant la face triste, et l’oeil espouvanté,
Voire peignant la peur sur ses lévres blesmies,
Sans armes se vit ceint de bandes ennemies,
Las ! Dit-il, quelle terre, ou quel sein de Thetis
Peut recevoir mes pas errants et fugitifs ?
Ou que me reste-il plus qui me donne esperance,
N’ayant en ma patrie aucun lieu d’asseurance,
Et voyant les troyens justement rigoureux
Prests de teindre leurs mains en mon sang malheureux ?
De tels gemissemens il émeut nos courages :
Nous faisans lors cesser toutes sortes d’outrages,
Et ne sçachans où tend cet exorde trompeur,
Nous mesmes l’excitons à nous dire sans peur,
Qui, de quel peuple il est, que veut dire sa plainte,
Et quelle est en ses fers son attente ou sa crainte.
Luy despouïllant adonc la frayeur qui l’a pris,
Avec un tel discours enchante nos espris :
Certes, roy genereux, je vais, sans rien te feindre,
Le tout, ainsi qu’il est, entierement depeindre :
Et pour le premier poinct, j’advoüeray devant toy
Que vrayment je suis grec : car la cruelle loy
Du sort qui rend sinon accablé de misere,
Ne rendra point pourtant sa langue mensongere.
Si jamais en parlant des princes de nos jours,
Parvint à ton oreille, entre d’autres discours,
Le nom de Palamede, et le bruit dont sa gloire
Tous les jours sur l’oubly gaigne encor la victoire,
Prince grand en vertu, que sans nulle raison,
Faussement accusé d’un tour de trahison,
Les grecs ont par arrest envoyé sous la terre,
Pource qu’il s’opposoit aux conseils de la guerre :
Et qu’en vain, maintenant qu’il est dans le cercueil,
Ils plorent à toute heure et de l’ame et de l’oeil :
Sous ce valeureux prince, et qu’un mesme lignage
M’avoit lié des nœuds d’un estroit parentage,
Mon pere m’envoya dés mes plus tendres ans,
En guerre apprendre icy le mestier des vaillants.