Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/315

Cette page n’a pas encore été corrigée

Construict pour découvrir jusques dedans nos portes,
Et de là commander aux places les plus fortes :
Ou quelque dol caché sans doute s’y conjoint.
Ô Teucres, je vous pry ne vous y fiez point :
Je redoute les grecs, et cognoissant leur feinte,
Lors qu’ils nous donnent mesme, encor en ay-je crainte.
Cela dit, aussi tost joignant la force à l’art,
D’une adresse robuste il eslance un grand dard
Contre les larges flancs de ce cheval horrible,
Et le lambris vouté de son ventre insensible.
Le dard tremblant s’y fiche : et du grand coup receu
Par le sonnant sapin dont son flanc est tissu,
Ses coulpables costez au dedans retentissent,
Et de son vaste sein les cavernes gemissent.
Que si lors nostre esprit n’eust point esté poussé
Par un mauvais destin contre nous courroussé,
Cest homme encourageoit les ames plus craintives
À rompre avec le fer les cachettes argives,
Et maintenant, ô Troye, encor florirois-tu,
Et nous ne verrions point ton empire abattu.
Mais cependant, voicy qu’au travers de la plaine,
Avec de bruyants cris à Priam on ameine
Un jeune homme incogneu, qui, triste, avoit les mains
Avec de forts liens estreintes sur les reins :
Mais qui de son bon gré, plein d’une audace extréme,
À ceux qui l’avoient pris s’estoit offert soy-mesme,
Pour tramer ceste fraude, et les traistres moyens
D’ouvrir en fin aux grecs les pergames troyens :
Impudent, resolu, non capable de crainte,
Soit qu’il fallust par art manier ceste feinte,
Soit que d’un cœur d’acier à tout sort preparé
Il se fallust offrir au trespas asseuré.
Soudain de toutes parts une espaisse couronne
De jeunesse accouruë en foule l’environne,
Prend plaisir de le voir si dolent d’estre pris,
Et comme à qui mieux mieux s’en jouë avec mespris.
Or escoute des grecs l’artifice funeste,
Et par un crime seul juge de tout le reste.