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Ayant en fin appris et la cause et l’autheur
Du meurtre dont luy-mesme il estoit spectateur,
Ô Gernande, dit-il, puis que ta bouche atteste
Ne les avoir point pris en forfait manifeste,
Quelque apparent suject que ta douleur ayt eu
De devoyer ainsi les pas de ta vertu,
Nous ne pouvons encor qu’aigrement te reprendre :
C’est dedans les liens qu’il te faut t’en defendre :
Je t’y mets en arrest, quoy que triste de voir
Qu’à ce point de rigueur m’ait forcé mon devoir.
Au son de ces propos six archers s’avancerent
Qui d’un cerne d’épieux tout autour l’embrasserent.
Luy ne resistant point, ains monstrant qu’à grand pas
Il iroit volontiers où logeoit son trespas.
Mais comme il s’y portoit, las de plus vivre au monde,
Il luy vint à l’instant un message d’Aimonde
Qui terminant sa vie et ja preste à mourir,
Quelque soing qu’on eust pris la cuidant secourir,
L’adjuroit par l’ardeur de ses flames premieres
Qu’au moins elle luy dist les parolles dernieres.
Contraint du magistrat, et chacun l’y poussant,
Dolent il y retourne : elle adonc ramassant
Le reste de sa vie au milieu de sa langue,
Luy fait à basse voix ceste triste harangue.
Je vois mourir, Gernande, il n’est plus temps d’user
De l’art dont en vivant on se sçait déguiser :
J’ay failly, je l’advoüe, et par mon imprudence
J’ay conduit tes soupçons jusqu’à la violence
Dont ta sanglante espee a percé sans pitié
Les flancs qui t’ont fait pere, et meurtry ta moitié :
Car lors que j’apperceu les privautez passees
Et d’Adee et de moy travailler tes pensees,
Quelques chastes respects que nous vist observer
L’estroit lien du sang, je m’en devois priver.
C’est là la seule erreur que mon cœur miserable
Peut et doit confesser l’avoir rendu coulpable :
Car du surplus, j’atteste et la terre, et les cieux,
Et le dernier moment qui va clorre mes yeux,