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S’en va chez son Ogiere à l’heure retiree
Au sein d’une maison du peuple separee,
Ou seule il la trouva qui loin de la clarté,
Pensive contemploit un miroir enchanté
Pareil en ses effects à celuy dont la feinte
Vient de causer la joye en ton visage emprainte.
Car il ne rendoit point les absens moins presens,
Et ses angles directs estoient tenus exempts
Du defaut que l’on dit confondre les figures
Par où l’oeil d’un enfant voit les choses futures.
Aussi sembloit Gernande y prester plus de foy
Qu’aux mysteres plus saints qu’adore nostre loy,
S’estimant avoir veu des preuves nompareilles
Du vray que promettoient ses trompeuses merveilles.
Tant c’est presque un deffaut diversement égal,
Que de ne croire rien, et que de croire mal :
L’un mesprisant la voix des discours veritables,
Et l’autre reverant les songes et les fables.
Quand donc seul avec elle il luy peut sans témoins
Librement devoiler ses miserables soings,
Ogiere, luy dist-il, je porte l’ame attainte
D’un mal que j’ose à peine eventer par la plainte,
Pour ce qu’encor mon cœur à ce vain reconfort
De ne sçavoir pas bien si je me plains à tort.
C’est pourquoy toy qui lis d’un regard de Lincee
Ce qui mesme est écrit dans la seule pensee,
Toy seule peux aprendre à ce cœur tormenté
Si son mal n’est qu’un songe, ou si c’est verité
Pour m’en mettre, à legal du coup ou du dictame,
La vengeance en la main, ou le repos en l’ame.
Tu sçais, comme je croy, (car qui l’ignore icy)
Quelle est la privauté qui sans aucun soucy
Du renom que la vie acquiert parmy le monde,
Persevere entre Adee et ma compagne Aimonde :
Tout presque s’en offence, et j’en porte en mon cœur
Un depit qui sans cesse acquiert vie et vigueur :
Bien que la chasteté cogneuë en mon espouse
M’ait long temps deffendu d’avoir l’ame jalouse,
Et que je