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Pareils à ceux d’une ame à qui l’amour commande,
Elle en donna racine aux soupçons de Gernande,
Qui ne rapporta point ces changements de teint,
Au dépit dont un cœur est justement attaint,
Quand il voit sans raison sa vertu soupçonnee,
Mais à l’effroy d’une ame en soy-mesme estonnee
De voir à l’impourveu quelqu’un luy reprocher
Le mal qu’elle pensoit un pretexte y cacher.
Ainsi l’aveugle esprit qui les fautes conseille
Les fist tous deux broncher en une erreur pareille :
Elle n’essayant pas d’oster à son espoux
Les sujets qu’il avoit de se rendre jaloux,
Ains recherchant tousjours la presence d’Adee
Avec la mesme ardeur qui l’avoit possedee :
Et luy qui des soupçons s’estoit tant esloigné,
Les suivant trop alors quand ils l’eurent gaigné.
Or ne sçavoit-il pas que la jalouse Ogiere
(Ogiere estoit le nom de la nymphe sorciere)
Eust veu jamais Adee à ses loix asservy,
Ny que de ses liens Aimonde l’eust ravy :
Car lors que leurs amours estoient plus enflamees,
Bellonne l’arrestoit au milieu des armees :
Et quand la douce paix l’eust renvoyé chez soy,
Desja l’avoit Aimonde affranchy de sa loy,
Sans qu’il eust par sa bouche acquis la cognoissance
De son enchainement ny de sa delivrance.
Croissants donc tous les jours les soupçons en son cœur,
Et le mal se rendant à la fin son vainqueur :
Il faignit un matin d’aller prendre à la chasse
Le plaisir qu’un beau temps faisoit rire en sa face,
Pour ne point retourner qu’on ne vist le soleil
Laisser courre à son tour la reine du sommeil.
Mais il n’eut pas long temps sur la plaine voisine
Exercé le mestier de la chaste Dictyne,
Qu’il se ravit aux siens, leur donne un rendé-vous,
Et seul avec un seul luy tenant lieu de tous,