Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/288

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ah ! Qu’avec grand regret il se sentit ravir
Un object dont son oeil ne pouvoit s’assouvir,
Et qu’il luy dist souvent d’une bouche plaintive :
Demeure, ô belle fainte, où fuis-tu si hastive ?
Et pourquoy te plaist-il de si tost me priver
D’un bien qui me faisoit tant de joye esprouver ?
Helas ! Puis que du corps mon malheur me separe,
Ne vueilles point de l’ombre à mes yeux estre avare :
Et si tu prends plaisir de lire les escrits
Qui tesmoignent l’ardeur dont tu me rends épris,
Ly dessus mon visage où mes maux volontaires
Sont vivement escrits en piteux caracteres
D’un encre fait des pleurs que j’espans nuict et jour,
Et pour preuve de foy signez des mains d’amour.
Tels ou semblables mots luy redisoit Timandre,
Mais les voyant en l’air sans effect se respandre,
Et la nymphe elle-mesme avoir peur d’irriter
Le courroux du fantosme en voulant l’arrester,
Il imposa silence aux plaintes commencees,
Et laissa prononcer le reste à ses pensees.
Or panchoit ja Phoebus vers les bornes du jour,
Le rechassant par force aux lieux de son sejour,
Où desja tout comblé d’une amoureuse joye
Il reportoit ses pas, quand en la mesme voye
Il rencontra Philon, la gloire des vieillards,
Et l’antique soucy de Minerve et de Mars,
Qui comme l’un de ceux qu’en ces jeunes mysteres
Son amoureux penser avoit pour secretaires,
Ayant sceu de sa bouche et la cause et l’effect
Du chemin dérobé que ses pas avoient faict,
Ô Timandre, dit-il, je pardonne à l’envie
De revoir la beauté qui sert d’astre à ta vie,
La douce illusion dont tes yeux abusez
Ont n’agueres rendu leurs desirs appaisez :
Car je sçay combien cuit à l’ame bien éprise
L’absence et le desir de l’oeil qui la maistrise :
Mais s’il te plaist sçavoir le veritable cours
De l’estre où maintenant elle coule ses jours,