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Mais helas ! Qu’il est dur, qu’il est dur à mon ame
De recevoir ce change, et pour la vive flame
D’un soleil animé que j’allois rechercher,
Dessus un ombre vain mon regard attacher.
Toutefois puis qu’amour abusant mon attente,
Veut que mon triste cœur de ce bien se contente,
J’aime mieux pour chasser la douleur qui me suit,
Une sombre clarté qu’une eternelle nuit.
C’est pourquoy je te prie, allons, et donnons treve,
Sinon paix à mon cœur encor que fausse et breve :
Et puis que par malheur, ce que nostre ame veut
Nous ne le pouvons pas, vueillons ce qu’elle peut.
Ayant ainsi parlé, vers l’antre ils s’acheminent,
Emportez des desirs qui les jeunes dominent :
Et là, trouvans la nymphe occupee à tracer
Un chiffre qui devoit deux ames enlacer,
Timandre en peu de mots la flattant luy raconte
Les violents effects du mal qui le surmonte,
Et par les trois cens noms des ombres reverez
Qui sont d’un bruit magique és charmes proferez,
La requiert de tromper avec sa douce fainte
La poignante douleur dont il a l’ame attainte,
Pour ne voir point de l’oeil celle qu’avec torment
De l’esprit et du cœur il voit incessamment.
Que sert plus de discours ou moins semble suffire ?
Elle octroye à son mal le secours qu’il desire :
S’approche du miroir, et sur luy prononçant
Les mots de qui l’empire est là le plus puissant,
En fin apres maints tours, et maints estranges gestes,
Commandans aux demons infernaux et celestes
D’assister au pouvoir de ce verre enchanté,
Elle fait que Timandre apperçoit la beauté
Qu’il aime tant à voir, animer sa surface,
Et le feu de ses yeux briller en ceste glace.
Quelle fut la merveille, et quel fut le plaisir
Dont un si doux object vint son ame saisir,