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Estant donné pour chef à cent chevaux legers
Resolus de le suivre au plus fort des dangers :
Mais comme la fureur de ces flammes civiles
S’allumoit par nos champs, s’allumoit en nos villes :
Et comme, plein d’ardeur, il dressoit ses apprests
Pour gaigner une palme entre tant de cyprés :
Le feu d’une querelle allumé d’un outrage
Alla de ses voisins embraser le courage,
Qu’en essayant d’esteindre, un plomb qui s’élança
Vomy par un mousquet le front luy transperça.
D’un trespas si cruel la douleur fut extrême :
Apollon le plaignit, Mars le plaignit luy-mesme,
Outre infinis esprits atteints d’un juste dueil
De voir la vertu mesme aller dans le cercueil.
Et toy-mesme, ô belle ame, il est aussi croyable
Qu’en pleurant tu sortis d’un logis tant aymable,
Non pour le seul regret de si tost dire adieu,
Mais pour ne t’en voir pas sortir en autre lieu.
Tu voulois que ce fust au choc de deux armees,
Des flammes de Bellonne ardemment allumees,
Où cent corps ennemis par ta main abbatus
Se verroient et de vie et d’armes dévestus :
Non pas en une guerre, helas, si peu guerriere :
Sans faire à tout le moins que l’audace meurtriere
Achetast ceste mort une goutte de sang,
Au lieu qu’elle devoit en couster un estang.
Mais, ô cœur genereux, mets fin à ta complainte
Si tu pleures ta vie en si jeune âge esteinte :
Car ta vie est parfaite, encore que d’effect
Le cours de tes beaux ans n’ait pas esté parfaict.
Bien as-tu peu vescu si l’âge se mesure
Au seul nombre des ans prescrit par la nature,
Et non à ce qui fait qu’aux astres s’eslevant
On se rend à soy-mesme à jamais survivant :
Mais la seule vertu donne vie à la vie :
Et l’homme fayneant qui sans l’avoir suivie
Voit par le cours des ans tout son poil argenté,