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Et n’eust sçeu le destin rendre mon ame hostesse
Ny de tant de plaisir, ny de tant de tristesse,
Qu’encor je ne sentisse et ma joye augmenter
Et ma peine décroistre à te le raconter.
Je tais infinis dons cachez et manifestes,
Que t’avoient départis les puissances celestes,
Et diray seulement que jamais icy bas
Nulle beauté qui tinst un monarque en ses lacs,
N’usa plus doucement de l’extréme puissance
Que l’amour luy donnoit sur son obeissance :
Que ces mains qui pouvoient maint orage émouvoir,
En rien qu’en obligeant n’ont monstré leur pouvoir :
Que tu n’avois appris de nos vains artifices
Qu’à les avoir en hayne au pair des plus grands vices :
Et qu’en fin ton esprit n’estoit rien que bonté,
Tout ainsi que ton corps n’estoit rien que beauté.
Toy seule à mon amour ayant coupé les ailes,
Tu le tenois lié de chaisnes eternelles :
Et ta seule beauté mes desirs arrestant
M’avoit fait devenir et fidelle et constant.
Car nulle autre que toy ne plaisoit à ma veuë,
Tant fust-elle et d’appasts et de graces pourveuë :
Ou ses beautez pour moy n’avoient point de vigueur,
Et contentant mes yeux, ne tentoient point mon cœur.
Toy seule avois pour moy ces charmes et ces prises
Qui font courir fortune aux plus libres franchises,
Et l’empire d’amour, tant soit-il un grand roy,
Ne me sembloit ny grand, ny puissant que par toy.
Aussi t’avois-je éleüe entre les plus aimables
Pour estreindre mon cœur de liens perdurables,
Trouvant heureusement en toy seule amassé
Tout ce qu’en maints sujets les dieux ont dispersé.
Las ! Faut-il que la mort resolve en pourriture
Un si rare thresor dedans la sepulture ?
Quelle hayne des cieux, apres tant de faveur
Qui m’a fait de la France appeller le sauveur,
Me poursuit maintenant, et sur ma triste vie
Darde ainsi tous ses traits de courroux et d’envie ?